Tes notes pourpres d’Angel Arekin

by Gwen

Titre Tes notes pourpres

Auteur Angel Arekin

Éditeur Black ink éditions

Date de sortie 17 février 2020

Un titre à commander ici tes notes pourpres ou sur le site de la maison d’éditions https://blackinkeditions.com/product/tes-notes-pourpres/

Il s’était passé trop de temps depuis ma dernière rencontre avec la plume d’Angel Arekin. Un peu plus de trois ans depuis ma dernière chronique, c’est bien trop long sans une plume aussi puissante, et totalement insuffisant pour entamer une désintoxication à mon Arekinodépendance. La preuve en est que ma sage résolution de ne lire que les premières pages de ce roman n’a tenu que quelques heures, et encore!

Je vous en pose le décor. Il y a quinze ans, Souline et Evi se sont aimés. Ils se sont aimés comme on n’aime qu’une fois, comme on n’aime que la première fois, comme on aime quand on n’a que l’amour comme rempart aux pires tourments.

Effectivement, les deux adolescents vivaient -ou survivaient- dans le pensionnat de Fersac, sous la direction de l’abbé Christopher Malezan et de son équipe, du père Vincent en charge de la musique au père Vidal ou du père Tudorin.

Dire que cet établissement appliquait une forme d’ « autorité » et d’ « éducation » à faire dresser les poils sur la nuque est un euphémisme. Si Souline, de par ses prédispositions évidentes de violoniste, son tempérament souple et la présence aimante de sa mère était « presque » épargnée du Père Malezan, on ne peut en dire autant d’Evi. Doté de l’oreille absolue et d’un instinct certain de pianiste, il est aussi un rebelle, un adolescent prêt à tout pour ne pas courber l’échine. Il le paie cher!

Il y a quinze ans, Souline est arrivée à quitter Fersac. Il y a quinze ans, elle a laissé derrière elle Evi, certaine de le retrouver bientôt.

Il y a quinze ans, elle lui a promis sa vie et son âme.

Mais il faut croire que le destin avait d’autres projets.

Pendant quinze ans, Souline n’a rien su d’Evi. Pourtant, elle n’a joué que pour lui.

Je t’ai aimé si fort […]. Ce que je ressentais était si violent que j’avais l’impression que mon corps pouvait imploser. Tu sais ? quand ta poitrine se comprime, que tu manques d’air et que ta seule façon de respirer, c’est quand tu es près de moi. Pendant ces quinze années, il m’arrivait encore parfois de ne plus pouvoir respirer correctement. Il me fallait jouer du violon pour recouvrer mon souffle. Fort. À m’en casser les oreilles. Pour que je puisse évacuer tout ce que je ressentais qui m’étouffait. Avec le temps, c’est devenu plus calme. Comme si j’étais plongée en léthargie. Dans un demi-sommeil.

Pendant quinze ans, Souline a vécu, travaillé, brillé, dans ce demi-sommeil.

Mais lorsqu’au détour de vacances, elle retombe, par hasard, sur le regard d’Evi, tout remonte à la surface. Le meilleur comme le pire. La beauté du premier amour et la cruauté de Fersac. L’avenir dont ils rêvaient et ce que le passé leur a pris.

Et si le présent leur offrait une deuxième chance …

Vous aimeriez bien? Souline jouerait une musique romantique, Evi répondrait d’une sérénade, ils se rappelleraient leurs serments d’antan et tout serait réuni pour une douce mélodie du bonheur sous les lumières pyrénéennes.

Sérieusement? Vous pensiez vraiment qu’Angel Arekin nous jouerait une partition doucereuse et sucrée?

Allons donc! Tes notes pourpres, c’est une rhapsodie à la Béla Bartok avec un équilibre précaire entre sonorité sublime et confusion déstabilisante, c’est une Nocturne de Chopin mélancolique de toute la noirceur qui pollue l’âme d’Evi telle une tumeur. C’est la souffrance de l’Adagio d’Albinoni ou de Barber et les grandes envolées de l’été de Vivaldi.

C’est même une reprise des Imagine Dragons pour une bouffée d’air. Bref, je ne vais pas refaire toute la playlist d’Angel Arekin, ni la mienne, et c’est dommage, car la musique est un bien l’un des centres de gravité de ce roman.

J’avoue que j’ai régulièrement accompagné ma lecture des références citées. Amplification d’effet assurée!

Ce roman est aussi une symphonie, servie par une maîtrise parfaite de la gamme des sentiments que la musique peut générer. Entre les mains de Souline, entre les mots de l’autrice, elle est révolte et déclaration d’amour, secret qui se murmure et aveu qui se hurle aux quatre vents. Elle est tendresse et combat, elle est ténèbre et espoirs; elle est à l’image de ce combat d’amour qui confronte, réunit et repousse Evi et Souline.

Je ne peux pas croire que ton cœur soit si mort, Souline. C’est tout. Je le sens battre si fort quand tu joues et si faiblement quand tu cesses.

Avec sa puissance et sa délicatesse coutumières, l’autrice nous transporte dans une histoire où la musique est un langage qui permet à nos héros déchirés de communiquer sans un mot tout ce que leurs âmes déchirées ont besoin de savoir.

En effet, Evi est assez bavard, surtout dans ses mots pour repousser celle qui l’a abandonné en enfer. Il manie avec force des mots d’une violence à faire monter les larmes aux yeux. Mais si ses mots disent noir, son corps dit blanc, et la musique déploie toutes les nuances entre le crépuscule et l’aube pour aller de la nuit la plus noire à l’aurore pleine de promesses.

J’ai aimé ce roman pour la puissance de son histoire. Les habitués du site savent que je ne suis pas très à l’aise avec la dark romance et assurément, ce titre, sans aller jusqu’au registre de la dark, déploie des travers sombres qui m’ont serré le cœur à plus d’une occasion, en particulier dans les flashbacks terribles qui nous donnent peu à peu à voir la vie à Fersac.

J’ai été happée par les thèmes qui y sont abordés. La maltraitance faite aux enfants et l’impunité qui en résulte encore trop souvent, la faute à des beaux parleurs et à des auditeurs crédules, à l’impossibilité d’admettre la monstruosité de certains « hommes de Dieu » et celle du silence de ceux qui, de près ou de loin savaient et ont couvert.

On parle souvent de libération de la parole, de prise en compte des mots des enfants. Ce roman montre un autre versant et s’attarde sur les maux qui en découlent.

Une romance sur fond de thème lourd, c’est déjà une très belle base pour une histoire. Je ne m’attendais pas à un élément supplémentaire -dont je ne vais bien sûr rien vous dire- qui ramène la lumière sur les zones d’ombre mais jette aussi, paradoxalement, un voile de ténèbres sur une lumière naissante.

Mais revenons-en aux deux piliers de ces notes pourpres, Evi et Souline.

Pour de multiples raisons, appréhendent différemment l’ « après ». Bien sûr, je ne vous dirai pas comment, mais c’est un choix que j’ai trouvé passionnant. On pourrait trouver de multiples justifications, la durée et le degré de violence du « séjour », les perspectives d’avenir et l’entourage. Mais il n’empêche que, de la façon dont les deux jeunes gens font face à leur passé découle aussi tout leur présent.

Je me suis régulièrement laissée perdre dans les méandres de l’esprit d’Evi. Souline est un peu plus simple à suivre. Sa détermination lui sert de boussole et m’a servi de repère dans cette histoire. Pour Evi en revanche, il faut composer avec ses silences et ses mystères, avec les mots qui sortent à contre-sens de son cœur. Evi est devenu Nath pour ses amis Baptiste, Constant, Jessica et Bruno. J’ai aimé la confrontation entre son présent et son passé. Si Souline a connu l’adolescent, pas sûre que ses amis actuels aient le même privilège.

La complexité de ce personnage est pour moi l’une des forces du roman. Qu’on ne s’y méprenne pas. J’aime Souline. J’admire sa résilience, sa façon de ne renoncer à rien, ou alors en apparence seulement, pour atteindre son but. Sa détermination et ses sentiments inébranlables m’ont beaucoup touchée. Mais Evi …  Il a la beauté sombre d’un ange déchu, qu’on ne peut quitter du regard, de la même façon que l’on peine à s’en approcher.

La colère qui l’habite et le dévore m’ont souvent émue. Le désespoir et la résignation qui l’écrasent ont serré mon cœur. La route qu’il a tracée pour lui m’a beaucoup questionnée. J’ai aimé sa prévoyance, sa façon de garder un certain contrôle de sa vie. Et j’ai adoré, avec un plaisir teinté de tristesse, la façon dont Souline vient balayer tout ça d’un sourire et d’une trille de son violon.

Enfin, la réussite absolue de ce roman, c’est la qualité de l’écriture de son autrice. Après trois ans de « sevrage », j’ai un peu appréhendé nos retrouvailles de plumes. J’ai encore en tête et en cœur la façon dont Angel Arekin, d’une image, d’un mot, d’un mode et d’un temps, est parvenue à trouver directement le fusible de ma sensibilité. Je me demandais si le charme opérait toujours. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles j’ai craint de me confronter à ses derniers titres. Si j’en crois le nombre de phrases que j’ai relues pour les laisser pénétrer mon cœur, toutes celles que j’ai collectées dans mon recueil de citations, toutes celles que je ne vous dirai pas pour ne pas spoiler d’éléments majeurs, ma réponse est toute trouvée. Si je fais le compte de tous les moments où j’ai retenu mon souffle, laissé filer mes larmes, si je tiens compte de l’état dans lequel je finis ma lecture, je n’ai plus de doute.

Au-delà de l’histoire d’amour puissante et touchante, des thèmes forts abordés et de cette omniprésence de la musique, c’est cet intense coup au cœur, à l’âme et aux tripes qui ma rappelle que je reste incroyablement fan du talent d’Angel Arekin, même lorsqu’elle me fait sortir de ma zone de confort et qu’il ne se passera certainement pas autant de temps avant que je succombe de nouveau!

 

 

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