Au-delà du Torii de Laure Allard d’Adesky et Morgane Scheinmeer

by Gwen

Titre Au-delà du Torii

Auteurs Laure Allard d’Adesky et Morgane Scheinmeer

Éditeur Art en mots Editions

Date de sortie 15 novembre 2021

Un titre à découvrir ici Au-delà du Torii

Après un voyage en terre Maorie (voir la chronique ici https://melimelodegwen.fr/la-malediction-des-atuas-de-laure-allard-dadelsky-et-morgane-scheinmeer/), Laure Allard d’Adesky et Morgane Scheinmeer remettent cap à l’Est, dans l’empire du soleil levant pour une histoire alliant avec adresse tradition et actualité, mythologie et combats du présent.

Elles mettent en scène un trio à géométrie variable qui s’aime, s’entraide et se déchire dans une romance savamment dosée.

Elles posent enfin de grandes questions dans une fable philosophique du meilleur effet.

Joanna et Jade sont des sœurs jumelles à l’incroyable connexion, mais aux dissemblances nombreuses.

La première, fan de films d’horreur et de culture japonaise est une aventurière, là où la seconde, davantage adepte de séries américaines et de cuisine, semble plus casanière.

Toutes deux montent à un degré très élevé le lien souvent attribué aux jumeaux. Elles se complètent, se ressentent et sont prêtes à tout pour l’autre. Une seule ombre à ce tableau, un petit grain de sable en la personne d’Alex Domier.

Il est le meilleur ami de Joanna, son inséparable. Ils partagent les mêmes centres d’intérêt, la même passion pour le Japon. D’ailleurs, c’est certain, ils y partiront ensemble lorsqu’ils le pourront.

Jade se sent exclue de cette complicité qui lui vole un peu de sa jumelle. Quant à Alex, il est à la fois coincé au cœur de ce binôme indéfectible, mais l’attraction qu’il ressent pour Jade le place aussi dans une situation inconfortable.

De l’adolescence à l’âge adulte, la marche est parfois dure à gravir. Les destins se séparent, certains rêves s’évanouissent, d’autres se heurtent à la dure réalité de la vie.

Ainsi, le roadtrip initialement prévu par Joanna et Alex est contrarié par un événement extérieur. Qu’importe!

Joanna part seule, bien décidée à accomplir le voyage prévu, d’Hiroshima à Kyoto, en passant par les lieux les plus symboliques du Japon comme les Torii du lac Biwa.

Mais la réalité prend un nouveau tour lorsque Joanna disparaît.

Pétri de culpabilité, Alex se lance sur ses traces, surpris et troublé de retrouver dans sa quête Jade. Ils se sont perdus de vue quand la jeune femme est partie étudier au Royaume Uni. Si leur affection pour l’absente les soude, ils s’opposent sur beaucoup d’éléments et le trouble qu’ils s’inspirent à un moment où il est tout sauf opportun n’est pas le moindre des obstacles entre eux.

Cette quête est surtout l’occasion d’une quête initiatique. Sous la plume talentueuse des deux autrices, j’ai pris plaisir à découvrir les paysages et les mœurs japonais, des lieux connus de tous à un art de vivre et des excursions bien plus personnelles.

Grâce à leurs descriptions, toujours parfaitement intégrées au récit, j’ai pu me trouver transportée au Japon et, une fois de plus, j’ai beaucoup aimé ce dépaysement qui m’a donné des envies d’ailleurs.

Cette sensation est d’autant plus forte qu’Alex, fort de sa passion pour le Japon et des études entamées dans ce sens, est très au fait des coutumes et des maladresses à éviter. Vu le degré manifeste d’ignorance de sa compagne de voyage, il est obligé de l’éclairer -et nous aussi par la même occasion.

Ce roman aurait pu être une enquête façon polar pour retrouver une touriste égarée. Ç’aurait déjà été une belle promesse. Il y a de cela, mais il est bien plus.

Dès leur arrivée au Japon, Jade et Alex, les deux narrateurs de l’histoire, sont confrontés à des éléments étranges, des rêves, des coïncidences, des impressions indescriptibles et des personnages sortis de nulle part.

Tous ces éléments font doucement basculer le roman dans une autre dimension, celle où la mythologie déploie toute son importance, où les Torii ne sont plus seulement les arches pittoresques sur les cartes postales mais un passage entre les mondes, contrôlé par des gardiens et leurs Bushi.

L’histoire prend alors une dimension plus métaphysique, alliant des divinités comme Amaterasu, déesse du soleil ou le gardien Sarutahiko et des  sentinelles choisies pour défendre les torii, les hommes et la nature.

Dans ce roman, tout est question d’équilibre entre les hommes et leurs passions, entre les dimensions.

J’ai beaucoup aimé que rien ne soit stable et clairement arrêté. Ne cherchez pas de « bons » et de « méchants » dans l’opposition au cœur de laquelle tombent les trois amis. Chaque cause est noble et défendable, chacun a sa part de noblesse et d’égoïsme, ce qui rend tout jugement plus difficile à rendre.

Bien entendu, je ne vous dirai rien du cœur du conflit ni du positionnement de chacun pour ne pas trop vous en révéler. Par contre, je ne vais pas me priver de vous dire pourquoi j’ai autant aimé cette histoire.

Tout d’abord, sans être férue de culture japonaise, j’en suis plutôt admirative et j’ai beaucoup aimé cette plongée d’un genre touristique particulier. Je ne vous parle même pas d’une certaine promenade en forêt dont je frissonne encore.

Dans la même veine, les mythes et légendes sont personnifiés et vus tantôt du point de vue érudit d’Alex, tantôt de celui néophyte de Jade qui leur donne un petit aspect Dragon Ball Z qui m’a fait sourire.

Ensuite, comme je l’ai dit, j’ai aimé à la fois la morale de l’histoire, mais aussi la pondération entre les intérêts de chacun et celui du plus grand nombre. Il y a une collision incroyable entre une réalité ultra-contemporaine et des traditions ancestrales. Elles s’équilibrent à la perfection.

De la même manière, les personnages principaux sont très pondérés. Absente de l’action pendant une grande partie du récit, Joanna est pourtant omniprésente. L’acharnement d’Alex et Jade à la sauver en donnaient une certaine image. J’ai beaucoup apprécié le parti-pris des autrices quant à sa personnalité et à ses motivations.

Il en est de même pour Alex et Jade. Tour à tour touchants et maladroits -l’un n’empêche pas l’autre- ils sont toujours sur le fil ténu entre leurs envies et leur devoir. Devoir envers la cause première de leur présence au Japon, Joanna, puis devoir que leur imposent les découvertes de leur périple. J’ai aimé la complicité qui s’étend malgré eux, l’incompréhension qui les sépare parfois et leur vision du monde finalement si proche qu’elle en devient antinomique. Leurs rapprochements sont touchants et sincères, à la mesure de leurs oppositions.

Et que dire du fonctionnement du trio! Comme souvent, il y a toujours un intrus dans l’équation et cette réalité de trois êtres qui s’aiment, mais pas en même temps, fonctionne parfaitement et enrichit l’intrigue.

Enfin, j’ai aimé ce roman parce qu’il est signé de la plume des Laure Allard d’Adesky et Morgane Scheinmeer et que j’ai retrouvé toutes les raisons pour lesquelles j’avais déjà aimé leur précédent opus: une écriture soignée, qui fait la part belle aux sentiments et aux sensations, un soin pour aller au-delà du simple roman d’aventure et prendre le temps de suivre la vie et une imagination fertile qui mène habilement réflexion contemporaine et légendes, romance et devoir.

En attendant le prochain départ …

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