Beats de Lois Smes

by Gwen

Titre Beats

Auteur Loïs Smes

Éditeur Kyrro Editions

Date de sortie 22 Octobre 2021

Un titre à commander ici Beats

Juste un instant avec [toi]. Mon nouveau, mon unique beat.

 

Quelques semaines après la claque au cœur de Lunisia (chronique ici https://melimelodegwen.fr/lunisia-de-lois-smes/) me revoici plongée dans un roman de Lois Smes. Cette fois-ci, direction un univers que j’aime particulièrement, celui de la musique.

Même si je ne suis pas particulièrement branchée électro, DJ et nightclubs, c’est un atout certain pour le livre. Et ce n’est pas le seul. Voyons. L’écriture de Lois, puissante, terriblement douée pour dépeindre les ressentis -la scène d’enregistrement est une merveille-, l’histoire d’amour belle et désespérée, le casting en diamant brut. Et la musique comme une cerise sur le gâteau, avouez que ça fait beaucoup beaucoup de bonnes bases pour un coup de cœur.

Mais n’allons pas trop vite. Je ne vous ai même pas raconté ce dont parle ce roman.

DJ Seraph est LE phénomène de sa génération. DJ mondialement reconnu, il est aussi réputé pour ses sets enflammés que pour sa vie dissolue auprès des éphémères Fallen aussi brillantes devant les objectifs qu’invisibles lorsque les lumières s’éteignent.

Originaire de Las Vegas où est son point d’ancrage, il sait que tout ce qui brille n’est pas or et que, une fois les paillettes balayées, Sin City recèle plus d’immondices que de pépites.

Lorsque l’obscurité revient, Seraph est un être sombre, dont la vie est un désespoir quotidien gardé -tant bien que mal- sous contrôle par Russ, moitié garde du corps, moitié confident, moitié chauffeur, totalement ami.

La vie de Seraph tourne -plus ou moins- rond jusqu’à ce que l’impensable se produise et qu’une frêle luciole, lumineuse mais fragile, vienne bousculer son quotidien.

Ojo est une jeune femme étonnante et touchante. Sa vie est plus que difficile. Orpheline, élevée par sa tante Tita, elle lutte pour joindre les deux bouts dans les cuisines d’un casino miteux. Son rayon de soleil, c’est sa meilleure amie Victoria, sur qui elle peut compter à tout instant. Des rêves? Elle n’a pas de temps à y consacrer et trop peu de confiance en elle pour y croire ! L’amour? Ses quelques expériences désastreuses l’ont assurée qu’elle ne fait pas partie de ces héroïnes faites pour les contes de fées.

Son don? Elle le cache, persuadée qu’il n’intéressera personne.

Et si Vivi avait LE plan pour, enfin, inverser le cours de la roue du destin. Un chemin vers une nouvelle vie, une vie tout court?

Enfin, un chemin, c’est la version optimiste. On est plus proche du sentier de montagne entre deux précipices que de l’autoroute à quatre voies tout de même. Et comme chauffeur, Sealtiel Monroe en personne.

Commence alors une histoire passionnante, entre confrontations et confessions offertes par bribes, entre attraction et volte-faces sanguinaires, entre le passé, lourd comme une enclume et une lueur vacillante vers quelque chose qu’on ne peut même pas nommer avenir.

Et comme si ça ne suffisait pas, une ombre veille par-dessus l’épaule, rappel d’un passé, poids sur le présent.

Je l’ai dit en préambule, ce roman est un coup de cœur. Il met en scène ce que j’aime.

Deux êtres cabossés par la vie, deux âmes incapables de s’attacher, de faire confiance ou de se laisser toucher et qui se révèlent tellement attachants derrière leurs boucliers.

Une romance complexe, teintée d’une ombre au suspens menaçant.

Une histoire de musique qui a relancé, en boucle, une de mes chansons préférées.

Une vision juste et sans concessions sur la génération 2.0, avec la tentation de mettre en scène une vie parfaite pour en cacher toutes les ombres peu reluisantes, mais aussi les engrenages et les dérives qui en découlent.

Tout ça dans un roman passionné où les coups de griffes et les coups de poing le disputent aux coups de corps et où les coups de cœur tentent de se frayer un difficile chemin dans une jungle de craintes et de culpabilité.

Tout ça dans un seul roman? Exactement, et même plus!

Un challenge à la hauteur du talent de Lois Smes qui signe ici un roman sombre parfois, souvent aux portes du désespoir et pourtant animé d’étincelles d’espoir aussi fulgurantes que provisoires.

L’histoire est magnifique et m’a fait passer par une gamme complète de sentiments.

J’ai aimé qu’elle n’ait rien de simple, que toutes les potentielles avancées des uns et des autres se heurtent à des obstacles majeurs. Plus la lutte est âpre et acharnée, plus la victoire en est belle.

J’ai été touchée par l’évolution de la mise en scène et du rapport de force entre les personnages.

J’ai adoré que le personnage de Past vienne ajouter un voile noir sur tous ceux qui existaient déjà.

Et puis j’ai tellement craqué pour les moments où le monde saccadé du Beat de Seraph glisse tout doucement vers les boucles susurrées, gémies et hurlées par Ojo pour atteindre cet homme au cœur glacé dans sa prison d’or et de noirceur.

Les personnages sont profonds, trop écorchés pour qu’on puisse faire autre chose que s’y attacher.

Sealtiel est un modèle du genre. Au premier abord, c’est un Connard magistral. Incapable de s’attacher, il est imbuvable, même avec ceux qui l’aiment, sauf avec Paula. Mais avec Russ ! Leur relation est expliquée tout au long du roman, mais il faut une bonne dose d’affection et d’attachement, quelle que soit la somme mirobolante de son salaire, pour supporter DJ Seraph dans ses mauvais jours -et ils sont nombreux!

Pourtant, en cours de lecture, je suis revenue sur mon jugement. Tout d’abord, si Seraph exploite les Fallen, c’est un échange -bancal et glauque je vous l’accorde- de « bons » procédés. Une image pour lui, un passe vers les paillettes pour elles. Soit.

Ensuite, lorsque je suis entrée dans le côté sombre de Sealtiel, celui du moment où les spots s’éteignent, j’ai vu autre chose. La survie désespérée, le poids d’une vie trop lourde à porter, les subterfuges pour tenir.

Et puis ce grain de sable qui vient tout remettre en cause, qu’il exècre autant qu’il ravive une étincelle de vie, de colère, de passion et de tout un tas de sentiments.

Finalement, quoi qu’ils soient aux antipodes de l’échelle sociale, il n’est pas si éloigné d’Ojo. Elle aussi est, malgré le soutien inconditionnel de Vivi, incroyablement seule. Elle non plus ne croit pas que quelque chose de positif puisse venir de l’amour, ni de la vie de façon générale. Elle aussi se laisse porter par une vague amère et destructrice. Celle du succès pour lui, et des sets faciles au Kraz. Celle de l’échec et de la survie à la petite semaine pour elle. Mais la mécanique est la même. Ni l’un ni l’autre n’ont d’idées claires pour un futur plus radieux. Seal pense qu’il n’y a plus droit, Ojo est persuadée que tout ça, c’est trop beau pour elle.

Entre les deux, j’ai aimé les prises de bec. La petite fille effrayée, qui semble presque s’excuser de vivre, trouve des ressources insoupçonnées pour tenir tête à ce cauchemar tout en tatouages et sexappeal qu’elle a elle-même provoqué. Et c’est brillamment rendu.

J’ai aimé la voir se redresser, prendre de l’épaisseur et retomber pourtant si facilement dans ses crises de confiance.

C’est un personnage très attachant dont j’ai adoré suivre l’évolution.

Mais comment évoquer ce duo sans parler du point d’équilibre qu’est Russ? Son CV m’a surprise, mais c’est surtout son impact sur l’histoire que j’ai aimé. Garde-fou autant que possible pour Seal, il est aussi un défouloir à mauvaise humeur et un Jiminy Cricket au crochet du droit redoutable. Lorsqu’il devient la voix de la conscience pour son patron et ami, c’est rarement par une leçon de morale que ça se passe, plus souvent par une bonne bagarre.

Pourtant, ce personnage a aussi de sacrés travers et j’avoue que j’adorerais en savoir plus -encore un message subliminal tout en légèreté, non?

J’ai déjà eu l’occasion de le dire, j’aime la plume de Lois Smes. Elle raconte des histoires d’êtres imparfaits qui touchent au cœur. Il y a sous sa plume un regard acéré sur ses personnages et le monde dans lequel ils évoluent, mais aussi une tendresse pour chacun de ces êtres imparfaits qu’elle a créés, qu’elle laisse se débattre dans leur désespoir poisseux avant de leur tendre une bouée de sauvetage. Et que dire de la façon de dépeindre l’âme humaine, les points de bascule et les instants de grâce?

Pas grand-chose de plus, sinon que dans ma playlist des romans que je retiens et des pages que j’aimerais relire à l’infini, il y a une place particulière pour ce roman-ci, pour un passage à part, le tout, bien sûr, dans l’attente du prochain set signé Lois Smes.

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