Lenny-Apprendre de Karyn Adler et Loïs Smes

by Gwen

Titre Lenny-2-Apprendre

Auteurs Loïs Smes Karyn Adler

Éditeur Kyrro Éditions

Date de sortie 26 mars 2021

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Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance de lire le roman à quatre mains de Karyn Adler et Loïs Smes, Lennie (pour retrouver la chronique, sans spoil, c’est ici https://melimelodegwen.fr/lennie-1-comprendre-de-karyn-adler-et-lois-smes/   et le podcast, c’est là podcast Lennie ).

J’avais eu l’occasion de dire non seulement le bien que je pensais de cette écriture en duo et de l’histoire racontée autour de Lennie et de vous confier la puissance de ce récit au thème trop peu souvent abordé, celui de la transidentité.

La chronique de ce second tome peut apprendre trop de choses à ceux qui n’auraient pas encore entamé l’histoire, alors avant de vous y engager, attention à vos yeux !

Tout d’abord un petit résumé du premier volet.

Depuis toujours, Lennie « sans y » sait que la nature a fait une erreur en plaçant son identité masculine dans un corps de femme. Lennie a tenté de répondre aux projets et aux regards de ceux qui comptaient dans sa vie jusqu’au moment où la fuite est devenue le seul recours vivable.

Lennie vit une existence où le passé n’existe pas aux yeux des autres, où le présent se résume à deux boulots plus alimentaires que passionnants et le futur une sorte de chimère. Si Lennie vit une colocation à trois avec Sapho, son amie haute en couleurs et Gab, mi-gourou mi-confident, sa propre histoire reste un silence et une énigme.

Le jour où Lucie et surtout Manël entrent dans sa vie, Lennie doit faire des choix. Le choix de continuer à survivre sans s’accorder de droit au bonheur, le choix de s’ouvrir au risque du rejet. Le choix de vivre en assumant son identité.

*************************Attention, à partir de là, ça peut spoiler **********************

Dans les yeux amoureux et attentifs de Manël, Lennie apprivoise doucement qui il est.

C’est un chemin long et semé d’embûches autant qu’il est éclairé de premières fois et d’instants de grâce. Qui pourrait penser que l’administration est capable de fournir de si belles émotions ? ou qu’une simple voyelle puisse signifier tellement ?

Pour l’amour de sa belle autant que pour se sentir enfin lui, Lennie-y entame tout le périlleux et complexe parcours, physique et psychologique, nécessaires pour gommer la dysphorie de genre dont il est frappé.

Je dois avouer que, avant de lire Lenny, j’étais presque ignorante sur le sujet, ou alors, les idées que j’en avais étaient assez réductrices. Si l’on pense aux modifications physiques qui découlent de la transition, si l’on envisage éventuellement les procédures à entamer et les moyens qui permettent d’entamer le parcours en douceur, mais avec détermination, grâce à différents moyens extérieurs, que dire des bouleversements psychologiques qui les accompagnent ?

Ils donnent à ce récit un tour poignant qui m’a profondément remuée.

Abandonner un corps qu’on ne reconnaît pas comme sien, c’est déjà complexe. Mais apprivoiser, par-delà les rêves et les espérances, son nouveau corps est également source de stress.

Le changement est-il trop rapide ? Trop lent ? Trop radical ? Qu’en pensera celle qu’on aime ? Aimera-t-elle ce nouveau corps ? Mais plus encore aimera-t-elle ce nouveau « moi » ?

Ce deuxième volet est rempli des doutes des deux personnages principaux avec beaucoup de force et de tendresse dans la plume des autrices. Elles livrent une vision précise et sans artifice, mais sans voyeurisme non plus de cette transition vers Lenny tel que la nature aurait dû le créer.

Et c’est incroyablement fort.

Je me suis réjouie avec Lenny des avancées, parfois timides mais chacune aussi importante que les précédentes, qui le menaient vers lui. J’ai frémi de ses doutes et de ses peurs.

Et que dire de Manël ? J’ai été très touchée par la façon dont Karyn et Loïs se sont plongées en elle. Elle est forte pour deux, toujours prête à brandir les poings pour défendre son homme et leur amour.

Mais elle est, elle aussi, régulièrement traversée par des inquiétudes. Elle craint de mal faire. Ce n’est pas une peur propre à Lenny. On a compris dès le premier volet que c’est une composante profondément ancrée en elle. Mais lorsqu’elle craint, malgré elle, d’être allée trop loin, lorsqu’elle tente de concilier ses envies et les besoins de son amour, on ne peut que s’identifier à ses hésitations.

Certes, elles sont spécifiques à la situation de son compagnon, mais elles sont également universelles. Quel couple, surtout marqué par un passé amoureux complexe, ne s’est pas retrouvé dans ce déséquilibre inconfortable de se demander si l’on n’attendait et n’exigeait pas trop.

Et c’est l’une des forces de ce roman. Il est bien sûr, un roman sur la transidentité, sur le chemin complexe pour apprendre à être soi-même dans son regard et dans celui des autres, mais il est aussi un roman universel sur l’apprentissage de l’amour, de la vie à deux, de l’acceptation de soi et des autres.

C’est que les autres ont une place importante dans ce roman ! Le récit à deux voix, alternativement de Manël et Lenny -dont j’ai apprécié les évolutions typographiques- fait la part belle aux tourtereaux, mais ils ne vivent pas seulement dans leur bulle. Il y a aussi les autres, tous les autres.

Accepteront-ils la réalité? Sauront-ils lire plus loin que leurs idées préconçues? Comment appréhenderont-ils le secret dont Lenny s’est entouré tout au long de ces années ?

Commençons par le cercle premier, cette tribu de cœur, aussi disparate que des chats au profil particulier. Ils sont les plus à même d’accepter Lenny tel qu’il est, mais aussi ceux qui, paradoxalement, peuvent être les plus blessés de son silence.

Ne comptez pas sur moi pour dévoiler leurs secrets, mais j’ai trouvé leurs réactions cohérentes et émouvantes, pour plein de raisons.

Et même si j’ai grincé des dents à certains moments, là aussi, j’ai aimé que les autrices livrent un récit ni angélique ni diabolisant.

On y retrouve tout le panel des réactions face à la différence, qu’elle traite de transidentité ou non : l’acceptation, la curiosité, la maladresse involontaire, le rejet, la méfiance. Parce que la vie est ainsi, que tout le monde n’est pas de la même étoffe et que, une fois de plus, ce roman est une histoire qui s’ancre dans une cohérence.

Et elle m’a touché pour diverses raisons.

J’ai adoré la sagesse déjantée de Gab, ses formules à l’emporte pièce et sa vraie bonté. Dans le premier volet, j’avais déjà eu un coup de cœur pour lui. Il ne s’est pas démenti, bien au contraire. Tout le monde devrait avoir un Gab près de lui !

J’ai été touchée par toute la réflexion sur la famille, celle du sang, celle du cœur, celle qu’on se construit, dans et hors des sentiers battus.

Il y a dans ce deuxième volet des pages qui m’ont bouleversée dans leur authenticité et les questionnements qu’elles ne peuvent que faire ressortir en chacun.

Mais j’ai surtout été sensible au chemin de vie de Lenny et de Manël. Avancer, est-ce jeter un voile pudique sur le passé, faire comme s’il n’existait pas pour en oublier les traumatismes ?

Est-ce au contraire s’y confronter pour ne pas avoir de regrets, mais des réponses, si amères soient-elles ?

Je l’ai dit à plusieurs reprises, au-delà du thème spécifique de cette duologie, que j’ai trouvé très fort, touchant et particulièrement bien traité, j’ai aimé Lenny parce que le livre est à l’hommage de celui qui lui donne son nom, trop grand pour être enfermé dans une case, trop riche pour être réduit à un seul aspect, trop prenant pour qu’on le pose et qu’on l’oublie.

C’est un roman sur l’amour, sur l’acceptation, sur l’affection, sur la vie telle qu’elle distribue les cartes et telle qu’on s’en saisit pour en faire une main gagnante.

Et dans ce registre, Karyn, Loïs, vous avez fait plus que « tapis »  en nous offrant ce roman riche en émotions et en réflexion, un livre à ne pas rater, assurément.

 

 

 

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