Titre un bref désir d’éternité
Auteur Didier le Pêcheur
Éditeur JCLattès
Date de sortie 2 janvier 2019
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Un titre découvert grâce au réseau NetGalley et à l’éditeur que je remercie pour cette opportunité.
Un bref désir d’éternité offre une plongée passionnante dans le Paris de l’entre deux-siècles. On sort tout doucement du XIX° siècle, ses progrès scientifiques et son génie (en témoigne une tour Eiffel encore jeune) mais aussi la broyeuse de l’industrialisation, pour se diriger, lentement mais sûrement, vers le beau XX° siècle et la première guerre qui viendra faucher la jeunesse et la prospérité.
Pour l’heure, Paris est la ville des contrastes.
Dans un roman dense et bien documenté, l’auteur décrit, croise et confronte différentes parties de la société qui s’ignorent autant qu’elles cohabitent.
La bourgeoisie y prospère, ambitieuse, calculatrice, avide de jouissances, par conformisme ou par oisiveté et des scandales que véhicule la presse, brodant des fables édifiantes et scandaleuses à partir de base réelle.
À l’opposé de l’échelle sociale, le monde de la rue est décrit avec justesse. Il est sale, puant, poisseux, dangereux. Il brise les os et les espoirs. Et pourtant, il grouille d’une vie interlope et foisonnante. On y trouve des Apaches, qui font régner leur loi, au nez et à la barbe de la police. On croise des anarchistes en révolte contre la violence sociale et les écarts de richesse indécents. On côtoie les fruits de l’industrie, ces hommes qui ont quitté leur campagne plein de l’espoir d’une vie meilleure et y perdent tout, leur santé, leur femme voire leurs filles.
Ce roman tourne en grande partie autour de ces filles qui n’ont guère d’options: s’épuiser à l’usine pour un salaire moitié aussi élevé que celui d’un homme ou se faner dans un mariage de convenance, sans amour, sans respect et se soumettre à un homme, mari, bienfaiteur, ou amant-souteneur.
En effet, on patauge dans le monde des filles de joie -et force est de constater que « joie » n’est pas le mot qui me vient naturellement à l’esprit pour décrire leur condition- bref des putains qui jalonnent Paris à heures et lieux déterminés, que ce soit sous les porches sombres, dans des meublés ou des maisons de plaisir, entre deux séjours en maison de correction ou à St Lazare.
Pour ces femmes, le danger est partout, sous la lame d’un amant qui les trouve peu dociles et peur rentables, dans le regard des autres, dans les rivalités entre réguluières ou entre les mains de la police. Des arrestations avec encartement aux séjours à St Lazare, on n’en rate pas une miette dans une ambiance glauque mais autant marquée par la noirceur que par les attachements. Le tout est de ne pas être naïf en pensant que tout est éternel. Si déjà, on parvient à capturer une brève parcelle d’éternité, on n’est pas si malheureux.
La jeune Zélie, dont on suit le destin à partir de ses quinze ans, est une synthèse de toutes ces situations. Elle est librement inspirée du personnage de Casque d’or, mais on est loin de l’interprétation de Simone Signoret dans le personnage qui mûrit et s’affirme au fil des pages. C’est un personnage auquel je me suis attachée presque malgré moi. Objectivement, c’est une fille fugueuse, qui passe d’amant en maîtresse au gré d’un arrangement moins mauvais qu’un autre. Même lorsqu’elle rencontre ce qu’une fable bourgeoise apparenterait à l’amour de sa vie, elle fait des choix que seule la nécessité explique.
Sans concession, elle porte aussi un regard lucide sur ce qui l’entoure. On la porte aux nues un jour? Elle en profite tout son soul avant de quitter le jeu avant qu’il ne dégénère. Au final, ce personnage toute en contradictions et guidée par la seule nécessité de la survie est une grande réussite.
Elle l’est encore plus à l’éclairage de Madeleine, femme de notable qui, a contrario, descend peu à peu de son piédestal social, par goût du frisson et de l’aventure d’abord, puis par une sorte d’addiction avant que la nécessité ne prenne le relais. Mais c’est dans sa naïveté de femme coupée de la rudesse de la vie que réside son destin. Un autre portrait qui mérite le détour.
Dans la galerie de portrait dépeints par l’auteur, mais aussi au milieu de ces mondes inconciliables qui se croisent parfois au détour d’événements plus ou moins attendus, se dresse la police.
Protectrice de l’ordre public, elle apparaît sous un jour assez sombre, malgré des intentions louables. Tantôt complice de la déchéance et du malheur des putains de la place publique, elle est également impuissante face à un certain nombre d’éléments et use parfois de son pouvoir à mauvais escient, lorsque même elle ne le met pas à profit pour ses propres ambitions. L’évolution de Jules Lhérot, l’autre personnage principal du roman, suit cette évolution comme une expiation pour des fautes réelles et supposées. Et la descente aux enfers de ce personnage qui paraissait, au départ, pétri de bonnes intentions, est un crève coeur parfaitement restitué.
Mais ce panorama du Paris de fin de siècle ne serait pas complet sans l’apport des artistes. Actrices entretenues par la bourgeoisie, peintres à la recherche de modèles charismatiques, les artistes sont une attraction pour le bon peuple qui rêve de partager leur liberté sans risquer l’inconfort de leur précarité.
Au final, avec un grand talent, l’auteur a peint un panorama complexe et prenant, sans concession d’une vie parisienne crasseuse sous ses dorures, d’une vie où le sexe est beaucoup, profession, enrichissement, dépaysement, dépravation, objet de pouvoir.
Une vie parisienne où pour conjurer la précarité du sort, on ressent, parfois, ce bref désir d’éternité.