Titre Midnight Dancer
Auteur Marie HJ
Date de sortie 31 mars 2022
Un titre à commander ici Midnight dancer
Le corps a son langage, la musique également. Parfois, l’art exprime les sentiments et les émotions bien mieux que ne le font les pauvres mots.
C’est par cette formule que je résumerais le nouveau roman de Marie HJ, Midnight dancer, une pépite qui m’a laissée sans mots, justement -et pour ceux qui me connaissent, cela relève de l’exploit!
Cameron Ashton n’avait pas encore douze ans lorsqu’un traumatisme a détruit son enfance, son équilibre et sa relation aux autres. Douze ans plus tard, sans repère autres que sa famille présente -parfois trop- et aimante -de façon tout aussi étouffante parfois, mais tellement délicate et compréhensible- il étire une existence un peu morne, sauf dans les instants où tout son corps s’étire, s’étend, se tord et s’envole autrement dit lorsqu’il danse, dans l’école de sa tante Cara ou dans les bars, comme le Pasadenas où il défoule sa vitalité, sur des rythmes endiablés ou dans des corps à corps éphémères qui ne le sont pas moins. Sans attaches, sans perspectives, Cameron s’efforce de reconstruire sa vie et d’exprimer sa normalité, selon des critères qui ne sont pas ceux du plus grand nombre.
À l’autre bout de Portlance, Alexander Malden est un compositeur de génie, mais un génie en panne d’inspiration. En dépit des sollicitations de sa sœur, agent, casse-pied personnelle Sarah, sa technique irréprochable, au piano comme au violoncelle, ne lui servent à rien sans inspiration. Or Malden ne compose pas dans n’importe quelles conditions. Il lui faut une source de créativité, une muse, quelqu’un qui mette des mots ou des gestes sur sa musique, qui exprime par son corps les images qui se forment dans sa tête et se répercutent dans les ondes.
Or depuis cinq ans, cette source s’est tarie et aucun pâle ersatz ne peut lui apporter ce qui lui manque … jusqu’au soir où …
Jusqu’au soir où, tombant sur un spectacle d’une obscure école de danse, il a la révélation devant le corps de Cameron.
Mais entre l’homme qui ne supporte pas d’autre contrainte ni entraves que celles que dresse son esprit et celui qui ne cherche qu’un objet d’inspiration sans en attendre davantage d’implication, le deal semble impossible à trouver, l’accord parfait illusoire.
C’est ce défi que Marie HJ relève dans un roman où se percutent la grâce et le désespoir, la délicatesse et la puissance, bref dans un ballet à l’harmonie millimétrée, d’autant plus puissante qu’elle est parfaitement précaire.
J’ai aimé ce roman -que dis-je? J’ai été envoûtée par ce roman.
Dans un premier temps, pour moi qui ne rates que très peu des dernières sorties de Marie, je suis impressionnée par sa façon de toujours se réinventer, de passer d’un roman léger à un thème lourd, qui prend à l’estomac, avec une égale dextérité et une grande justesse.
Ce Midnight dancer ne fait pas exception. Si quelques touches de sourire permettent de reprendre une salutaire respiration -adeptes de danses de la poule, unissons-nous! et si certains personnages, comme Estéban dans son duo avec Sarah peuvent faire naître des sourires, ce roman est incontestablement placé sous un signe plus sérieux et plus sombre. Et autant l’avouer, c’est dans ce registre que je la trouve impériale.
Sans en dévoiler trop, les thématiques abordées dans ce roman sont de nature à serrer le cœur et ça n’a pas manqué, pour ma part. Si le démarrage du roman donne immédiatement quelques clefs pour comprendre Cameron -quoi que je n’étais pas exactement partie sur la bonne piste, il n’en est pas de même pour d’autres personnages qui se découvrent au fur et à mesure, ce qui permet de tracer des parallèles ou d’éclairer la lecture. Je ne vous éclaire guère avec ces propos sibyllins? Je sais. Même pire, j’assume! Parce que c’est l’une des forces de l’autrice, cette construction qui livre, par petites touches, les coups de pinceau nécessaire pour dessiner la fresque d’une vie, de ses points de fêlure à sa réalisation complète, sublime et imparfaite.
Ensuite, j’ai été, comme toujours, très sensible aux mots de Marie HJ. Cela peut paraître paradoxal vu le rapport de Cameron aux mots. Quoique. C’est parce qu’il ne noie pas son entourage sous des discours lénifiants que chacune de ses paroles est si précieuse. Ce qui m’a surtout transportée, ce sont les mots de l’autrice pour parler des autres langages. Si je suis adepte de musique et particulièrement sensible à sa puissance et à son message, je suis nettement moins familière de l’univers de la danse. Pourtant, que ce soit dans une valse, une improvisation, ou une chorégraphie de hip hop, j’ai été transportée par la grâce des danseurs, le talent pour rendre compte des mouvements, d’une façon presque visuelle, et plus encore par toutes les sensations qui s’y rapportent.
La danse est un langage à part entière. Elle exprime la rage de Cameron, son impuissance, sa soif de vivre, sa passion, sa détresse. Elle est aussi un dialogue avec la musique et par extension, une intense communication sans mots entre le danseur et le musicien, entre la muse et le magicien. Ce roman est aussi très puissant de par la poésie et la puissance de ces deux univers. Et là, la qualité de plume de Marie HJ fait vraiment des merveilles.
Finalement, peu importe le son ou le style, je crois que, telle une catin en manque, je pourrais vendre mon âme au premier venu pour débuter ma journée en dansant.
Lorsqu’en plus la playlist retenue ne contient que des morceaux que je valide, je frôle dangereusement le plaisir absolu.
Ensuite, j’ai beaucoup aimé la place de la famille dans ce roman. Qu’il s’agisse de l’instinct protecteur, quoique parfois un peu dirigiste de Sarah ou l’attention des Ashton, j’ai été très touchée par la place de chacun.
Les parents et la tante du jeune danseur sont à la fois très parents poules. Pour autant, ils ont aussi la force de ne pas céder à l’envie de mettre leur enfant sous cloche et de l’encourager à s’ouvrir, à prendre des risques, à vivre.
Pour des raisons que je ne peux développer, j’ai un coup de cœur particulier pour Rhys. Ça tombe bien, mon petit doigt me dit qu’on n’a pas fini d’en entendre parler!
Le dernier point -et pas des moindres- qui m’a séduite, c’est le rythme de la romance. Les circonstances et le vécu de chacun en impulsent un logique tempo. J’ai été très sensible aux valses hésitations des uns et des autres, aux timides avancées de l’un face aux stratégies de l’autre, aux brusques accélérations avant des coups de frein brutaux.
J’ai surtout été conquise par l’atmosphère sensuelle et d’une intensité oppressante dont Marie HJ a su envelopper ses personnages et ses lecteurs par la même occasion.
Vous l’aurez compris c’est une nouvelle fois une partition parfaite. Je pourrais pousser la métaphore pour m’ébahir de la symphonie des émotions, du concerto pour cœurs abimés et à aimer, pour entonner la valse aux mille temps de la passion, mais tout ça ne serait que ritournelles et pas de deux pour la seule conclusion vraiment importante. Laissez vous emporter par ce danseur de Minuit, l’heure du crime, l’heure de la passion, l’heure où les corps trouvent leur propre langage.