Bonus Perfect Boss: des fleurets et un karaoké

by Gwen

Bonus Perfect boss

Bonus des trois ans

Des fleurets et un karaoké

Bonjour à tous. Aujourd’hui, Perfect Boss fête les trois ans de sa sortie numérique.

Écrire un livre, même de 600 pages et quelques comme celui-ci, c’est faire le choix, parfois, de couper des chapitres pour aller à l’essentiel.

Mais il arrive que ces scènes coupées gardent un petit goût de regret.

Ainsi en est-il des trois chapitres que je vous propose aujourd’hui.

Je les replace dans leur contexte.

Attention, il est recommandé de ne lire ces chapitres qu’APRES avoir lu Perfect Boss.

C’est votre cas?

Alors je vous explique.

Rappelez-vous….

Channel 9 a organisé un réveillon en décalé pour présenter le travail de la chaîne, notamment les entraînements des Olympiades journalistiques. Mais la soirée a pris une toute autre tournure suite à une visite surprise.

Carla a demandé à Stephen de l’envoyer loin pour se ressourcer et prendre le temps de réfléchir. Il a accepté, mais pas trop longtemps. C’est que le tournoi international de fleuret qu’ils doivent présenter en binôme se rapproche. Vous y êtes (dans le livre, c’est la fin du chapitre 44).

Alors je vous laisse aux bons soins de Carla et surtout, n’oubliez pas à me dire ce que vous en avez pensé.

Le tournoi

Le tournoi est un condensé de toutes les meilleures équipes masculines du monde. La fédération y est largement présente. Le matin qui précède la présentation officielle des équipes, Stephen et moi nous répartissons les interviews, en menons certaines en duo.

J’ai obtenu que Tony suive ce weekend pour les images additionnelles à celles de la production officielle. Il connaît ma façon de travailler et on commence à avoir de beaux automatismes. La journée passe à une vitesse folle.

La WT est connectée depuis la chaîne et notre messagerie est saturée de leurs commentaires positifs. Idem pour mes proches. Je lis leurs commentaires avec un peu de scepticisme. Après tout, ils ne sont pas très objectifs !

Mais Stephen me montre le compte Twitter de la chaîne qui regorge de messages du même ordre. Entre deux combats, nous échangeons un check ravi avant d’être abordés par l’un des pontes. Nous le connaissons bien. Il était déjà en poste lorsque nous étions en activité.

Il m’alloue une bise, octroie une poignée de mains chaleureuse à Stephen et s’installe quelques minutes avant son interview.

—Eh bien, les enfants, si on m’avait dit, … commence-t-il avec un clin d’œil qui se veut complice.

—Si on vous avait dit quoi ? Demande Stephen, tout en me faisant passer mon café.

—Ben, vous deux, ensemble, … vous formez un couple superbe. Et cette complémentarité ! Juste incroyable !

Je pouffe, Stephen aussi. Il rétablit la vérité. Interdit, notre invité nous dévisage tour à tour avant d’adopter un air inspiré.

—Ah, j’ai compris, vous préférez rester incognito. Ca peut se comprendre. Après tout, vous travaillez ensemble. Rassurez-vous, votre secret est à l’abri avec moi.

Je tente de protester, mais Stephen m’adresse finalement un clin d’œil. Quoi que l’on dise, l’opinion du technicien semble faite.

Si les circonstances étaient différentes, j’adorerais cette idée. Au lieu de quoi, je glousse bêtement pour dissimuler mon embarras. Stephen, pour sa part, savoure son café au lait sans rien dire. Il me lance un regard amusé par-dessus le mug que je lui ai offert à Noël et qui ne le quitte plus. Je soutiens son regard un moment.

C’est bête, mais j’ai bien aimé ce quiproquo. Je donnerais cher pour savoir ce que lui en pense. Trouve-t-il que c’est amusant ? Déplacé ? Gênant ?

A sa façon de me regarder, je me doute qu’il attend que je me jette à l’eau. Mais le faire me forcerait soit à me montrer blessante en prétendant que je ne le trouve pas digne d’intérêt, soit vulnérable en lui dévoilant que je me sens de plus en plus troublée par sa proximité.

Finalement, le silence est une solution plus confortable. C’est celle, en tous cas, que je choisis. Stephen aussi.

Le premier soir s’achève dans un mélange d’exaltation et d’épuisement. D’ailleurs, je décline l’offre de mon binôme de dîner ensemble pour un débriefing.

Je n’aspire qu’à retrouver mon lit. Seule. Tom n’apprécie pas ma réponse. Je suis surprise qu’il en ait attendu une autre. Mais il pensait sans doute que sa persévérance devant ma porte m’aurait convaincue.

Par contre je reste surprise de son incompréhensible « à demain ! » Que veut-il dire par là ? Va-t-il venir récolter les fruits d’un travail qui n’est pas le sien au tournoi ? Va-t-il reprendre son guet quotidien ? Il risque de veiller tard. Avec l’anniversaire de Sandra, je n’ai pas l’intention de dormir tôt… l’anniversaire de Sandra ! Elle l’y a convié mais… entre ma froideur et l’animosité de mon frère, il veut vraiment passer la soirée avec nous ? Je refuse de le lui demander : je n’ai pas l’intention de le contacter. Par contre, ma belle sœur confirme : Tom sera bien là, ils en ont parlé ce midi. Voilà qui promet d’être intéressant !,

Le tournoi individuel occupe mon esprit tout au long de la journée. Bien sûr, nous le suivons de A à Z. Si une pause déjeuner est prévue pour les athlètes, pour nous, c’est plutôt l’occasion de grapiller des interviews ou de superviser les montages. Je me doute que, comme hier, Stephen a prévu le ravitaillement. Outre la machine à café avec mes dosettes préférées et ses doses de lait, il a aussi pensé à mes friandises préférées. Bien sûr, il y a piqué aussi, mais à part le mélange de fruits secs qu’il grignote régulièrement, je ne connais pas ses vices.

Mais comme si la journée ne suffisait pas, il y a la soirée. Et là, Lilian a sorti le grand jeu pour sa femme. Un restaurant spécialisé dans les pâtes, une lubie que les deux femmes enceintes partagent et peuvent s’octroyer. Puis un karaoké où l’on pourra même danser si on le souhaite.

J’avoue à Stephen que je ne suis pas sûre de tenir jusque-là. Il exige que je reste au moins chanter. Il me promet une chanson et m’incite à réfléchir à un duo. Cet homme est fou ! Il veut chanter avec moi. Aux abris !

Je ne lui promets rien. Je n’oublie pas que dimanche, l’épreuve par équipes nous attend, et qu’il est paraît-il de tradition que journalistes et athlètes finissent la soirée ensemble.

Clairement, à cette heure, je pense que je serai dans les bras de Morphée depuis longtemps.

Entre les consultants et la foule, il y a plus de monde encore qu’hier. Soudain, je me crispe. Devant moi, une chaîne russe interroge le champion national. Et la consultante n’est pas n’importe qui. Katarina Iérina n’est pas non plus dans sa discipline de prédilection. Elle est épéiste, comme moi. La meilleure sous le ciel olympique paraît-il.

En tous cas, c’est elle qui est montée sur la plus haute marche du dernier podium olympique. Une marche au-dessus de moi donc, …

Stephen, avec qui je devisais gaiement, réalise que quelque chose ne va pas. Il s’arrête, dubitatif, suit la direction de mon regard et revient aussitôt se placer à mes côtés. Il met sa main autour de ma taille pour me soutenir, dans un geste presque naturel.

J’apprécie sa prévenance.

—On peut passer au large, murmure-t-il dans mes cheveux.

Cette idée est séduisante.

Hélas, c’était compter sans l’apparition de Paul Dauphin, l’ancien leader de l’équipe de France de fleuret, devenu entraîneur des Bleus.

—Tiens tiens, c’est donc vrai ? s’exclame-t-il en nous saluant. Carla Dubie et Stephen Deveaux en couple. Je n’y ai pas cru hier, mais là, … Si j’avais pu me douter.

De nouveau, notre complicité provoque une méprise. Comme hier, Stephen veut rétablir la réalité. Mais il faut croire que la fable est plus belle. Nul doute que d’ici ce soir, ce sera le nouveau potin du circuit. Oh là là. Si Tom tombe là-dessus, … Il comprendra peut-être ce que m’évoquent les photos de lui et sa femme. Quoi qu’il n’y ait rien d’équivoque dans notre façon de nous tenir, et pour cause.

Par contre, ce petit aparté a provoqué ce que je voulais éviter. Katarina nous a vus et m’adresse un petit signe de la main. Raté pour la fuite.

—Souris ma belle, me glisse encore Stephen alors que je me compose un sourire de façade.

Nous ne sommes pas de grandes amies. Nous nous sommes souvent croisées sur les tournois, dès que j’ai rejoint les rangs des seniors. De mémoire, la Russe doit avoir l’âge de Stephen. D’ailleurs, vu la chaleur avec laquelle elle le salue, j’en déduis qu’ils se connaissent. Je reste un peu en retrait, perplexe quant à la façon dont Katarina s’est jetée dans ses bras. Je me suis même écartée d’un pas pour être sûre de ne pas être bousculée.

Mon cavalier m’a libérée et les deux anciens champions ont discuté quelques minutes. La Russe lui reproche de ne plus l’avoir appelée. Stephen se trouble un peu

Je fronce les sourcils. Qu’est-ce que c’est que ça ? Encore une distraction entre deux compétietions ? Je ne suis pas très fière de cette réaction qui ressemble à s’y méprendre à une crise de jalousie hors de propos.

—Euh oui, s’excuse presque Stephen en se tournant vers moi. On, … on se connaît un peu. Il y a longtemps, …

Voilà peut-être pourquoi il proposait d’éviter l’ancienne athlète. Pas tant pour moi que pour lui, son ancien, … son ancien quoi d’ailleurs ? Amant ? Coup d’un soir ? Distraction post-olympique ? Je ne sais que penser et leur adresse un regard sombre. Je devrais vraiment faire exploser cette bulle de mensonge, ça devient ridicule ! Si Stephen me trouble tant que je vois rouge dès qu’il rencontre une ex, il faudrait peut-être que je lui en parle au lieu de rire bêtement aux malentendus qui nous concernent.

Je n’ai pas le temps de réfléchir que Katarina se tourne vers moi. Contrairement à mes souvenirs, elle se montre vraiment chaleureuse et me prend dans ses bras. Cette étreinte m’en évoque une autre et ses mots, en descendant du podium olympique. Je n’étais pas en état de les entendre à l’époque. Je regrette presque de ne plus m’en souvenir aujourd’hui.

Pendant que mes pensées divaguent, la discussion bat son plein. Katarina nous propose de sortir ce soir, après la compétition. Avant que je réponde, Stephen décline.

—C’est gentil, mais on est attendu ce soir, …

—Ne te sens pas obligé de venir, rétorqué-je un peu brusquement. Si tu as mieux à faire, Sandra comprendra !

Stephen arque les sourcils, surpris de ma véhémence. Il s’excuse auprès de notre consœur et m’entraîne vers notre bureau improvisé.

—Tu m’expliques ? C’était quoi, ça ? Je suis invité par ta sœur ce soir. C’est nettement plus précieux à mes yeux que la soirée avec une ex !

Ma colère est un peu ridicule. J’en suis consciente et vois mal comment m’en dépêtrer. D’autant que Stephen, bras croisés sur son très impressionnant torse, attend une explication.

J’opte pour la moins mauvaise.

—J’ai jamais remarqué que cette nana pouvait être sympa. Et quand elle m’a pris dans ses bras, ça m’a rappelé qu’aux JO, elle a voulu me consoler après la cérémonie.

Et ça m’énerve de ne pas me souvenir de ce qu’elle a dit alors, et plus encore qu’elle ait dû le faire.

—Comme quoi, désamorce Stephen, ton passé est peuplé de gens que tu n’imaginais pas si sympas.

Je lui rends son sourire, un peu calmée, et pour la peine, je lui prépare le café suivant.

J’aimerais lui demander des précisions sur sa pseudo-aventure avec Katarina, mais je ne suis pas si masochiste. Je me concentre plutôt sur la compétition qui débute.

Comme la veille, la journée défile à une allure folle. A midi, j’ai failli taper des mains en voyant arriver deux plateaux repas spécialement commandés par mon patron. Je le remercie chaleureusement. Il m’en dispense d’un sourire.

—L’expérience montre que tu es encore plus pénible lorsque tu as faim. Donc, quelque part, je me protège en agissant ainsi.

Je lui tire la langue et n’accorde pas plus d’importance à sa provocation. J’ai trop faim !

Mon excitation monte tout au long de la journée, au fur et à mesure que les adversaires sont éliminés les uns après les autres, mais que deux Français restent en lice, puis un, qui accède à la finale.

Le public est en délire. Je n’en suis pas loin, ce qui fait rire les équipes de plateau. Elles nous ont bien entendu laissé l’antenne et chaque coup que Ronan Crézach inflige à son adversaire hongrois me fait pousser un cri de joie et de rage.

A quelques reprises, Stephen pose la main sur mon bras pour m’apaiser. Il me montre même ma gorge pour me demander de préserver mon organe en vue de la soirée.

Impossible !

L’attente est d’autant plus crispante que, contrairement à l’épée, il n’y a pas de doubles touches et que les zones d’impact sont plus limitées.

Les deux hommes sont d’un niveau relativement équilibré. Sur la piste en tous cas, car sur le papier, le Hongrois devrait gagner haut la main. Seulement voilà ! Il y a le petit supplément d’âme que donne le public, presque exclusivement acquis au champion tricolore.

Lorsqu’il l’emporte, au prix de trois dernières touches arrachées à la force de l’estomac, je ne tiens plus de joie.

Stephen rit de mon enthousiasme. Je le laisse rapidement, empoigne Tony et joue des coudes pour recueillir les premières paroles du champion.

J’y parviens non sans mal, et mon collègue est obligé de me rappeler à l’ordre, parce que l’heure tourne. Il me rejoint devant l’un des vestiaires, me donne la tenue et le sac que j’avais emportés ce matin, en m’octroyant royalement dix minutes pour être prête.

Avec un cri, je fonce, m’enferme dans le vestiaire -pas la peine de croiser de jeune mâle dévêtu-, passe en vitesse sous une douche vivifiante, me coiffe comme je peux, réalise un maquillage d’urgence, me parfume.

J’enfile ensuite mes dessous et m’attaque à ma robe…

Catastrophe ! Impossible de l’attacher seule ! Je jure ! Dans le magasin, la vendeuse m’a habillée. Mais là, je suis seule, … tant pis, à la guerre comme à la guerre, je demande de l’aide.

Deux minutes plus tard quelques coups sont frappés à ma porte.

Stephen, les cheveux mouillés, finit d’attacher les boutons de sa chemise. Il peine avec son poignet gauche. J’oublie souvent qu’il est gaucher. J’attache ses boutons et lui présente mon dos.

—J’ai besoin d’aide.

Sans un mot, Stephen attache tous les micro-boutons qui partent du bas de mes reins jusqu’aux premières vertèbres dorsales. Puis il longe mon dos nu de ses doigts, pour lisser le tissu. Je ne peux réprimer un frisson. Il se prolonge lorsqu’il enserre mon cou dans ce col en apparence très pudique, … du moins tant que je ne tourne pas le dos. Une fois sa tâche accomplie, il reste quelques instants en silence, toujours dans mon dos.

Moi aussi. Je suis gênée de mon trouble hors de propos. Fort heureusement, l’heure qui tourne nous donne un merveilleux prétexte de quitter le stade couvert, et ce vestiaire, … pour tomber exactement sur Paul qui nous regarde avec un sourire qui m’agace.

Certes, on sort d’une pièce close tous les deux. Certes, on a les cheveux mouillés l’un et l’autre, vestiges de la douche. Et à en croire le regard de Paul, il pense que nous l’avons prise ensemble. Certes, les rumeurs courent déjà, … on vient de les alimenter.

Et le « bonne poursuite de soirée » goguenard de notre ancien partenaire montre que ce n’est pas près de cesser.

A peine installés dans la voiture, Stephen pose d’ailleurs le problème.

—Tu veux le dire à Tom ?

Perdue dans mes pensées, notamment le trouble qu’ont représenté ses mains sur moi, je mets quelques instants à rejoindre le cours de sa réflexion.

—Et toi ?

Stephen sourit de ma pirouette.

—Techniquement, j’ai demandé le premier.

—Ne recommence pas avec ton « techniquement ». Réponds juste, s’il te plaît.

—Ça va jaser. C’est en train de le faire. Tu veux peut-être qu’on l’avertisse avant que quelqu’un d’autre le fasse.

Je hausse les épaules.

—Et se comporter comme si on avait quelque chose à justifier ou à cacher ? … Parce que ce n’est pas le cas, n’est-ce pas ?

Mais quelle conne ! Je me mettrai des gifles pour cette dernière remarque qui ressemble presque à une supplique. Mais ça va pas, non ? Stephen va croire que je lui cours après !

D’ailleurs, il me dévisage un instant en silence. Je le sens et j’évite de croiser son regard. En cet instant, je me sens tellement transparente… Et ridicule.

—Non, bien sûr, répond mon partenaire, rien à cacher.

Il démarre rapidement, alors que Tom m’inonde de messages. Il est déjà arrivé au restaurant, et il ne manque que nous. A en croire les textos de mon amant, l’accueil a été moins que chaleureux. A quoi s’attendait-il ?

Lilian ne l’a pas revu depuis la soirée de nouvel an. C’est déjà un exploit qu’il ne lui ait pas sauté dessus.

Heureusement, Stephen conduit avec aisance au milieu du trafic parisien et nous arrivons à bon port plus tôt que je ne l’aurais espéré. Dans la voiture, il a été difficile de rompre le silence. L’échange écrit avec Tom n’y a pas aidé. Pas plus que notre propre discussion.

Je tente de comprendre le point de vue des autres. L’amitié et la complicité qui existent entre Stephen et moi les a probablement induits en erreur. Il est vrai que mon ami est prévenant et attentif. Devant le restaurant, d’ailleurs, il vient ouvrir ma portière et me guide vers la salle d’une main en équilibre à quelques centimètres de mes reins.

Je ressens la chaleur de sa proximité sans même qu’il me touche, et cette réaction me déstabilise.

Notre arrivée tardive est saluée par des sifflets et des moqueries. Elles me sont en grande partie destinées. Mes proches n’ont, en effet, pas manqué mes commentaires de la finale et demandent avec sollicitude à Stephen si lui et ses tympans survivront à une troisième journée à ce rythme.

—C’est la miss, elle est comme ça, remarque-t-il, fataliste. On l’aimerait moins si elle était moins passionnée.

Cette remarque fait rire toute la tablée, surtout Lilian et Laurie qui assurent que si Stephen est si compréhensif, c’est juste parce qu’il a échappé à mon adolescence.

—Techniquement, tempère mon patron, j’ai eu un échantillon de la miss adolescente. Elle avait du beau potentiel, c’est vrai, concède-t-il, un sourire aux lèvres.

Tom, qui s’est levé à mon approche, pose un baiser délicat au creux de mon cou et m’aide à quitter ma veste. Je suis mal à l’aise de ce geste très intime et fâchée qu’il se l’autorise en public. Sans doute pense-t-il que je n’oserai pas le jeter en pâture à mes proches en faisant un esclandre. Il n’a pas entièrement tort, quoique cette idée m’agace.

Tom déglutit longuement en avisant le dos de ma robe qui fait de l’effet autour de la table. Laurie s’extasie.

—Ma puce, c’est quoi cette robe ? Cette coupe !!!! Oh mon Dieu, où as-tu dégotté ça ?

Je rougis légèrement et glisse un regard discret à Stephen. Je n’ai parlé à personne de notre virée shopping et je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure idée.

Il se fait sans doute la même remarque, car il ajoute, comme si de rien n’était.

—Elle est vraiment surprenante ! Toute en subtilité, mais carrément épatante.

Il rentre dans mon jeu. Je lui décoche un sourire discret et explique sobrement que j’ai découvert une nouvelle boutique.

—J’exige une visite guidée, … enfin dès que je en ressemblerai plus à un cachalot échoué.

Cette remarque détourne l’attention de moi. J’en suis heureuse et me joins au chœur des protestations. Bien sûr, Laurie a pris quelques kilos, qu’elle pouvait largement s’autoriser, mais ils lui vont particulièrement bien. Je regarde nos deux femmes enceintes. Chacune dans leur genre, elles sont radieuses. En fait, c’est toute cette tablée qui me remplit de bonheur, même si la présence de Tom me perturbe. La présence de Stephen semble naturelle à tous. Sandra lui a proposé de venir accompagné, mais il a décliné. Lilian l’a placé à son côté, face à moi. Déjà, les deux hommes discutent, avec Yvan. Je m’en amuse. Ils se sont croisés peu de fois, à l’hôpital et après la soirée de Nouvel an, et pourtant, ils semblent très amis.

Mon partenaire me sourit. Je partage sa réaction et me tourne vers Tom, plus taciturne. A en croire son regard, il aimerait bien bénéficier du même accueil. Il faut dire que Lilian lui adresse à peine la parole, façon de lui signifier qu’il est Mon invité, pas le sien. S’il savait que ce n’est même pas vraiment le cas, …

Karaoké entre amis

Le repas ne s’éternise pas très longtemps après le délicieux entremet aux fruits exotiques sur lequel trônaient les bougies de Sandra.

Elle a été gâtée. Je lui ai offert un bijou que je complèterai dans quelques mois avec la pierre de naissance de son bébé. Stephen, pour sa part, lui a offert une journée de relaxation pour jeune maman qui la comble de joie et fait loucher d’envie Laurie.

Mais même les cadeaux n’ont pas calmé l’enthousiasme des futures mamans. Elles piaffent d’impatience à l’idée de rejoindre le karaoké, à deux pas de là. Sandra aime par-dessus tout ce lieu où la musique est jouée en live, ce qui rend l’expérience bien plus ludique que dans un karaoké classique. Moins risquée aussi, parce que les musiciens peuvent s’adapter à quelques imperfections.

Déjà, Laurie commence la liste des prestations qu’elle veut faire. Tom se tourne vers son ami.

—Tu ne peux pas rester muet. Tu as prévu quelque chose ?

Stephen réfléchit, et rappelle que je lui dois un duo. Je fais mine de protester, en rappelant mes excès de l’après-midi. Mais Laurie ne l’entend pas de cette oreille.

—Je nous ai déjà programmées sur Taylor !!!! annonce-t-elle avec une série de petits cris hystériques qui me désespèrent déjà.

C’est notre délire de filles, mais on se trémousse en cercle très restreint, pas devant mes patrons ! Je tente vainement de les en dissuader, de les exhorter à la prudence, mais rien n’y fait. Soudain frappée d’une illumination, ma sœur, que sa grossesse rend totalement incontrôlable, se tourne vers Stephen.

—Tu connais, « Say something » ? Carla la chante suuuuuuuuuper bien ! tu veux pas la chanter avec elle ?

Mon Dieu ! Donnez-moi un bâillon pour ma sœur ! Elle m’épuise !

J’adresse à Stephen un regard d’excuses pour le piège que ma sœur est en train de lui tendre.

—« Say something » ? Vraiment ? Tu as de la chance, je connais. Attends, ne bouge pas !

Interdite, je vois Stephen quitter notre table et parler quelques instants avec les musiciens du groupe. Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ?

Mon ami rejoint notre groupe, mais refuse de me dire quoi que ce soit. Les premiers morceaux s’enchaînent. Aux habituelles casseroles du samedi soir se mêlent de vrais talents, et je redoute déjà les catastrophes à venir.

Bientôt, nos trois noms sont appelés. Je foudroie mes folles du regard, mais elles sont si enthousiastes que je me joins à elle en ne râlant que pour le principe.

D’ailleurs, je dois le reconnaître, dès que les premières mesures de la chanson retentissent, ma gêne disparaît, et je ne pense plus qu’au plaisir de ce moment simple entre nous. Tout n’est pas juste, la chorégraphie souffre de l’embonpoint de Laurie, mais qu’importe. Même Sandra se laisse entraîner dans le rythme et c’est le souffle court que nous finissons notre prestation, sous les applaudissements enthousiastes de nos supporters attitrés.

Tom m’accueille d’un fougueux baiser qui me pétrifie.

C’est la première fois qu’il se permet un geste aussi intime en public. Même tout à l’heure, au restaurant, il n’a pas été plus loin que son bras sur le dossier de ma chaise ou sa main sur la mienne. Mais là ! Je n’apprécie pas totalement son geste. Pas dans le contexte de notre liaison. Enconre moins en public. Par réflexe, je balaie la salle du regard pour m’assurer qu’il n’y a dans les parages ni connaissances, ni paparazzis. Cette idée me fait sourire. Un peu de sens de la mesure, tout de même !

Si j’ai bien compris Tom, la plupart des photos « volées » qui le concernent résultent en fait d’accords plus ou moins tacites. Je doute qu’il ait ébruité sa présence à mes côtés ce soir. Veronica n’aimerait pas, … et il n’aurait rien à en retirer. A part, de nouveau, confirmer une place dont je ne suis plus sûre qu’elle lui appartienne.

Les doutes qui m’empoisonnent l’esprit me perturbent. Je secoue la tête avec humeur et croise le regard de Stephen. Connaît-il la teneur de mes pensées ?

Une nouvelle fois, il me donne l’impression de lire dans mes pensées et c’est une perspective assez déstabilisante. A plus forte raison vu le nombre de pensées qui partent désormais vers lui.

La soirée est plutôt calme. De nombreux chanteurs amateurs profitent de cette soirée pour des déclarations, dirait-on. A voir l’agitation de mon frère, je pense qu’il est dans ce cas.

Quoi ? Maître Dubie, jouant fiévreusement avec ses mains pour chasser le stress ? On aura tout vu.

Bientôt, on nous appelle, Stephen et moi. Je vois le pianiste du groupe se lever et mon ami prendre sa place.

C’est une blague ? Je fais quoi, moi ? Je reste plantée toute seule bêtement, mon micro à la main ? Stephen tapote le banc où il est assis et me désigne une place à côté de lui.

De mieux en mieux ! Voilà que je dois aller chanter cette chanson, romantique à souhait, parmi mes préférées, en duo, à quelques centimètres de mon séduisant patron qui me trouble plus que de raison.

On a bien fait de ne pas parler des fausses idées auxquelles nous avons été confrontées dans la journée, sans quoi Lilian aurait été capable de publier les bans.

Je n’ai jamais entendu Stephen chanter. Je sais par les autres qu’il se défend pas mal. Mais je n’étais pas préparé à sa voix. Lorsqu’il parle, elle est bien posée et apte à capter son auditoire. En chantant, c’est encore pire. Il attaque la première phrase de la chanson, et je reste bouche bée, incapable de le suivre. Je suis hermétique à tout ce qui nous entoure, même la présence de nos proches. Seule sa voix compte, et le regard qui ne me quitte pas.

Dans un état presque second, je réalise qu’il finit le couplet et va bientôt arriver au refrain, c’est-à-dire à la partie où le duo se met en place.

Ma voix se pose, presque mécanique. Heureusement que je connais la chanson par cœur. Elle s’harmonise totalement avec la sienne. Chacun trouve son ton sans même tâtonner et les paroles s’enchaînent. Je gagne en aisance et en plaisir. C’est un moment de grâce, une bulle hors du temps. Lorsque les dernières paroles meurent, je reste assise face à lui, presque vidée de toute énergie. Tout en moi tremble d’un désir fou. Celui de goûter ses lèvres. Je sursaute de cette idée saugrenue. Pas Stephen !

Mon pianiste me tend la main pour m’aider à me relever. Je tremble comme une feuille, mais je crois que lui aussi. C’est ridicule. Je projette sur ce pauvre garçon mes propres fantasmes. Dans notre coin, les applaudissements sont déchaînés. Mais je constate avec surprise que le reste de la salle a réagi de même. Tom me serre dans ses bras à m’en faire mal. C’est un geste presque primitif, de possession, à l’encontre du regard des autres. Zut. Je crois qu’ici aussi, certains ont versé dans la confusion. Mas son geste ne provoque chez moi qu’un certain malaise.

Laurie et Sandra ont les yeux rougis. Je m’étonne.

—Ca ne va pas, les filles ?

—L’idiote qui nous demande si ça ne va pas ? Tu vous as entendus chanter ? C’était incroyable. Un truc, … rien qu’en y repensant, j’en ai la chair de poule, explique Laurie tout en essuyant ses yeux.

Sandra ne dit rien, mais a façon de me presser dans ses bras vaut tous les aveux. Un peu chamboulée, je me tourne vers Tom.

—C’était bien ? Vraiment ?

Il me dévisage d’un drôle d’air.

—Vous chantez souvent ensemble ?

—Euh non, c’était la première fois.

—Vraiment ? C’était, … pas mal pour une première, concède-t-il. Mais bon, Stephen a l’habitude, ça aide.

Je ne dis rien, un peu froissé qu’il rabaisse ma propre prestation. Je ne nie pas Stephen, au piano-voix, a fait une prestation géniale, mais tout de même.

—La jalousie est toujours un mauvais juge, souffle Yvan à mon oreille tout en posant un baiser sur ma tempe. Tu étais au top. On va vous embaucher pour chanter des berceuses au bébé.

Je le remercie d’une étreinte chaleureuse et me demande ce qu’il a voulu dire. Tom, jaloux ? De quoi ? De l’attention que j’ai récoltée ? De ma complicité avec Stephen ? De la façon dont il est intégré ?

En cet instant, mon frère s’est isolé avec lui. Ils discutent un moment et reviennent sur un accord qu’ils scellent d’une poignée de mains.

Ils font mine d’ignorer nos regards dubitatifs, jusqu’à ce qu’a son tour, Lilian soit appelé pour interpréter un titre.

—C’est un titre particulier, explique l’animateur, choisi pour l’anniversaire d’une femme particulière. Et Lilian a demandé l’appui de notre guest du soir. Les garçons, c’est à vous.

Sandra pleure déjà, avant même que mon frère ne soit au micro.

—Allons, ne pleure pas, ça ne sera pas si catastrophique !

Je plaisante pour détendre l’atmosphère, parce que je suis moi-même émue.

A la première mesure, je sens mon cœur se serrer aussi. « All of you » de John Legend. Carrément. Stephen joue au service de mon frère, et lorsque les notes s’envolent, un peu trop haut pour lui, c’est mon ami qui prend le relais.

Tom m’enlace. Il pose sa tête contre la mienne et se presse contre moi.

—J’adorerais chanter comme ça, murmure-t-il. Je passerai mes soirées à chanter pour toi.

Je me tourne vers mon amant. Il n’est pas coutumier de ce genre de déclarations. Il est touchant. Et je me demande si je dois me laisser convaincre par ses jolies phrases.

Après la chanson des garçons, Tom me propose d’aller nous défouler sur la piste de danse, dans le coin opposé. J’approuve avec plaisir. La soirée n’est pas forcément confortable pour lui. Là où tout le monde accueille avec chaleur Stephen, on ne fait pas grand-chose pour mettre Tom à l’aise.

Je n’en veux pas particulièrement à mes proches. Je sais ce qu’ils ressentent. Moi-même, je sais qu’il est une sorte de passager clandestin dans cette soirée. Mais qu’il fait des efforts pour moi. Et c’est cette attention qui m’attendrit, bien plus que ses soirées de veille devant mon appartement.

Pendant un moment, Tom et moi nous offrons une bulle. Il danse bien. J’en avais eu un aperçu la dernière fois que nous avons dansé ensemble. Ce soir, notre complicité connaît un regain. Peut-être pas aussi bien qu’avant ; mais je passe une agréable soirée et je refuse de penser plus avant pour l’heure.

Laurie me fait signe de venir près d’elle lorsque je rejoins le groupe. Stephen s’est de nouveau installé au piano.

Il lance la mélodie de son morceau. J’écarquille les yeux. C’est l’un de mes morceaux favoris. Ma sœur partage ce point de vue. Elle tambourine à petits coups sur mon bras, pousse des cris de souris et se blottit dans les bras d’Yvan.

Je suis pour ma part pleinement concentrée sur la prestation de mon ami.

Il a choisi une reprise d’un titre pop, « Dancing on my own ».

J’aime la cover qu’il a choisie d’interpréter. Je l’ai découverte dans un télécrochet à succès. Je me souviens encore de l’avoir écoutée en boucle. C’est l’histoire d’une fille qui va en soirée pour guetter son ex. Mais il repart avec une autre. Elle l’observe et danse dans son coin.

J’ai l’impression qu’il ne chante que pour moi. Son regard ne me quitte pas. Et je reste attirée dans son orbite. Je ne sais même plus si quelqu’un nous entoure. J’ai à peine conscience de la présence de Tom à mes côtés.

Stephen me regarde intensément, et j’aimerais tellement lire un message dans ce titre. Mais il a été très clair à chaque fois que la question s’est posée. Il n’est intéressé que par une relation professionnelle apaisée. Peut-être par une amitié. Rien de plus. Et il me le précise en évoquant cette fille qui regarde son ex partir avec une autre. Brièvement, l’image de Katerina s’impose, mais il n’a même pas eu besoin d’une autre pour me repousser

Brusquement, toute l’énergie de la soirée s’effrite. La lassitude m’assaille, et j’aimerais rentrer. Me perdre en Tom ? Peut-être. Pas forcément pour de bonnes raisons, mais juste ….

Je ne sais pas précisément pourquoi d’ailleurs. Mais j’ai soudain une envie folle de blesser Stephen à la mesure de ce que lui me blesse. C’est une réaction puérile et dont j’aurais certainement honte demain. Mais pour le moment, elle me paraît presque acceptable. Tom m’a enlacée pendant la chanson. Je le laisse m’embrasser, et lui rends même son baiser sans quitter Stephen des yeux.

Il se décompose et disparaît rapidement.

Quant à moi, je ne suis pas très fière de moi. Je me sers de Tom alors que je n’en ai plus très envie, je provoque Stephen qui ne me doit rien. Bref, ce n’est pas ce genre de femmes que j’aime être.

Toutes ces idées me donnent la migraine. Celle-ci s’aggrave brusquement lorsque Stephen réapparaît, quelques minutes plus tard. Mes yeux manquent sortir de mes orbites. Il tient contre lui, étroitement enlacés, une rousse sulfureuse.

Il est sérieux ? Lilian le regarde, tout aussi surpris que moi, et se détourne rapidement.

Une bouffée de colère hors de propos me saisit. Ma parole, je suis jalouse ? D’un homme qui vient de me rappeler qu’il n’a jamais voulu de moi, … et à qui je viens de montrer ma pseudo-indifférence en acceptant le baiser langoureux de Tom.

Stephen se laisse tomber sur un fauteuil confortable. Sa bonne fortune s’installe directement sur ses genoux, ce qui a pour mérite de relever considérablement sa jupe déjà scandaleusement courte. Il embrasse sa conquête dans le cou. J’ai du mal à supporter ce simple rapprochement. Pourtant, une nouvelle fois, il affiche clairement son désintérêt. Certes nous travaillons très bien ensemble. Certes, nous sommes, probablement, amis. Mais il n’y aura rien de plus et mon trouble est décidément à sens unique.

Il faut que je parte, vite, d’ici. Avant de lui cracher au visage ma frustration.

La colère me fait perdre pied. Le sang pulse dans toutes les parties de mon corps. Ma peau me démange. Saleté de robe qui me gratte… Saleté de robe qu’il a choisie avec moi !

Cette idée me met dans une telle rage que je suis à la limite de l’arracher sur place.

Je crois que demain, je la brûlerai ! Même si je me suis rarement sentie aussi désirable que ce soir. Ce doit également être l’avis de Tom. Depuis notre baiser, je sens sur moi son regard échauffé.

Soudain, je me sens lasse. Je n’ai plus envie de rentrer avec personne. J’aimerais rentrer seule, me rouler en boule sous ma couette et attendre que le grand bazar de mon cerveau s’apaise. Un instant, je pense répondre à la provocation de Stephen par une autre, plus grande, en invitant, par exemple, Tom à rejoindre mon lit. Mais je n’en ai aucune envie.

Je me lève pour prendre congé, aussitôt imitée par mon amant en titre. J’embrasse chaleureusement toute la petite bande, mais fais consciencieusement l’impasse sur mon partenaire.

Je ne me retourne pas lorsqu’il me rappelle qu’il passera me chercher demain pour le dernier jour de la compétition.

Misère ! J’avais oublié que j’allais devoir repasser une journée avec lui, après les chauds et froids de ce weekend.

Il a de la chance que je tienne particulièrement à cet événement, ou j’aurais trouvé un autre biathlon à couvrir, en terre Adélie si possible.

—Ne t’embête pas à me récupérer… Tu peux même profiter de ton dimanche, ou te remettre de tes exploits ! Je me débouille très bien sans toi !

Stephen se lève pour me parler, mais son coussin portatif s’accroche à lui en couinant. Je le détaille des pieds à la tête, sans même chercher à masquer mon dédain et mon mépris.

Il me renvoie un regard noir, vestige de nos premiers face à face. La journée de demain va être rock’n’roll !

Laurie me propose un déjeuner de sœur en début de semaine.

Je sais qu’il n’y a rien contre Sandra. Mais ma sœur sent que j’ai besoin de poser mes valises et de vider mon sac. Je ne l’en serre que plus fort.

Devant le restaurant, Tom tente de m’embrasser de nouveau. Je le repousse, sans hésitation, cette fois. Quoi que Stephen décide de faire ce soir -et je n’ose imaginer sa nuit à venir, au risque de sentir la nausée monter-, je ne me servirai pas de Tom comme d’un ersatz.

Mon manque d’enthousiasme à son égard me perturbe. La politique de l’autruche que je me suis imposée jusque-là ne suffit plus. Il va falloir que je prenne une décision ferme. Je le mérite et, quelque part, Tom aussi.

Mon amant accepte mal mon nouveau refus.

Je hausse les épaules.

—Tu t’es imposé ce soir, Tom. Tu sais comme moi que l’image que tu as voulu montrer de nous deux est très loin de ce qui se passe en ce moment.

—Pas tant que ça, proteste-t-il. On est en froid parce que tu trouves que je n’avance pas par rapport à Veronica. Ce soir, on était en public. On aurait même pu être vus, …

J’acquiesce. Je suis consciente de l’effort qu’il a fait. Mais je n’y suis pas aussi sensible que je l’aurais cru. Pour être pleinement honnête, ce soir, ce n’est pas lui qui a focalisé mes pensées. Et tant que je n’aurai pas les idées au clair, je ne bouge plus.

C’est ce que je tente d’expliquer à Tom, sans évoquer bien sûr le trouble que son ami fait naître en moi. Il se montre beau joueur.

—Ecoute, bébé. Je sais que depuis cette soirée, tu es perturbée. C’est ma faute. Je sais aussi que je t’ai forcé la main pour ce soir. Et que tu as la tête à ton tournoi pour le moment. Voilà ce que je te propose. On va se donner un peu de champ, le temps que tu y voies plus clair. Ca te va ?

J’opine de la tête. Je ne suis pas très fière de moi, de nouveau. Mais je saisis l’opportunité que me laisse Tom. Il me dépose devant chez moi, ne cherche même pas à s’y incruster et me laisse seule face à mes doutes et mes questions.

Par contre, il me propose de me rejoindre au tournoi demain.

—J’aime autant pas, je veux rester concentrée.

Je ne veux surtout pas me retrouver entre ces deux hommes, dans un espace clos, avec le malaise qui monte d’instant en instant.

D’ailleurs, la porte est à peine refermée que je m’écroule, écrasée par trop de sentiments contradictoires.

Lendemains de fête

J’arrive dans la cabine de commentaires plus d’une heure avant le début des compétitions. Seuls les athlètes sont déjà en place… Les athlètes et Stephen qui est fidèle au poste.

Je retiens un juron, résiste à mon envie de faire demi-tour.

Mais je ne suis pas de cette étoffe. Je pose mon sac, prépare un café. Ce ne sera que le troisième depuis que j’ai décidé de me lever. Je n’en propose même pas à Stephen et plonge dans mon portable.

—J’ai eu ton mec au téléphone. Sois sympa, quand tu te chopes avec lui, évite qu’il m’appelle après.

Son ton est cassant. Visiblement, lui non plus ne cherche pas l’apaisement.

—T’as qu’à faire comme moi. Débranche ton portable ! Et pour ta gouverne, je ne me suis pas chopée avec Tom. Mais s’il a dérangé ta fin de soirée, tu m’en vois navrée, … ou pas.

—Ça veut dire quoi, ça ? S’insurge Stephen.

Tiens donc ! Au lieu d’adopter sa stratégie habituelle -le calme olympien face à mon énervement-, Stephen rend coup pour coup ? Si je suis cette logique, on peut repartir rapidement dans les cataclysmes de début de saison. Et je ne peux pas me le permettre. Aussi, je me dégonfle.

—Ça veut rien dire du tout. C’est ton ami, non ? Il avait besoin d’une oreille. Il t’a appelé. Ça paraît logique. Et sinon ? Avant que Tom ne te dérange, ta fin de soirée a été bonne ?

Stephen se trouble. Et toc !

—Ça a été, répond-il, laconique.

Je hausse les épaules et me lève précipitamment. Il faut que je sorte de là avant de péter les plombs. Et dire qu’on a toute la journée à passer ensemble et que ma migraine me fait déjà subir l’enfer.

Avant de quitter notre poste de commentateur, je ne peux toutefois retenir mes mots.

—Tu me parles amitié, honnêteté, transparence, respect même. Mais tout ça, dans ta bouche, ce ne sont que des mots. Alors je vais aller faire un tour. Mais quand je vais revenir, on va aller au bout de cette putain de journée, comme simples collègues. Et tant que tu ne seras pas prêt à être suffisamment mon ami pour être honnête avec moi, et me dire clairement les choses, je crois que ce sera mieux qu’on reste sur cette ligne de conduite pour ne pas repartir dans des affrontements qui ne mènent nulle part !

Stephen écarquille les yeux. Il blêmit, lisse sa coiffure, ouvre la bouche à plusieurs reprises.

Je l’observe quelques instants, pour savoir s’il va enfin se dévoiler. Rien ne vient.

—Pathétique !

Je ne lâche que ce mot, avant de quitter la pièce.

Je retrouve d’anciens collègues, reviens in extremis pour la prise d’antenne, guère apaisée, mais assez calme pour faire mon travail correctement.

Nous agissons en bons professionnels, échangeons la parole avec aisance et maîtrise. Mais l’étincelle de complicité est éteinte. Peut-être l’ai-je juste imaginée. Cette perspective me serre le ventre. D’autant que le trouble n’a pas disparu en ce qui me concerne.

A la première pause, Stephen veut parler, alors que je plonge dans mon sac à la recherche d’un nouveau cachet.

—Mal à la tête ?

—Ça ne m’empêchera de mener mon travail jusqu’au bout.

—Carla, ne m’ignore pas comme ça. Dis-moi ce qui te perturbe.

—C’était tout à l’heure que j’étais prête à parler. Là, je bosse.

—On va repartir dans ce genre de relations ? Celle où je te tends des perches pour que tu me parles et où tu mords pour ne pas le faire ?

Je hausse les épaules. Mais Stephen ne baisse pas les bras.

—Je peux demander une piste. On a réglé ça à l’épée la dernière fois. Je peux certainement nous en trouver. A moins qu’on fasse une exception et qu’on se reconvertisse au fleuret !

—Désolée boss. Il y a des choses qui ne se règlent pas sur une piste. Je vais faire un tour.

De fait, je ne le rejoins que le temps nécessaire à mon travail. Je m’éclipse dès la fin de la compétition et refuse de rester aux festivités, malgré l’invitation de Stephen.

—Attends, Carla.

Sa voix a repris des teintes autoritaires. Elle m’arrête net dans mon élan, presque malgré moi.

—J’ai ton sac dans ma voiture. Tu pourrais en avoir besoin. Attends-moi un instant. Je vais le chercher.

—Je veux rentrer vite. Je viens avec toi. Ça m’évitera de perdre plus de temps.

Stephen s’incline avec raideur et m’ouvre la voie. La nuit est tombée. Une de ces nuits brumeuses de fin janvier. Elle reflète mon état d’esprit. L’air est glacial. Il insinue une sensation de malaise difficile à dissiper. Nos voitures sont garées dans la même allée. Je ne m’en étais pas rendue compte en arrivant ce matin. Comme il l’a annoncé, Stephen récupère mon sac et sans écouter mes protestations, il le porte jusqu’à ma voiture. J’avance à grands pas pour le quitter au plus vite. J’ai beau être chavirée de colère, je n’en suis pas moins troublée de sa proximité.

Galant, il dispose mon sac dans mon coffre et m’escorte jusqu’à ma portière.

Pour la première fois depuis des semaines, les mots buttent derrière mes lèvres. Je ne sais comment prendre congé. Une part de moi meurt de lui demander des comptes. Mais j’ai tellement peur de repartir à la guerre. Ou pire, de perdre le lien que nous avons construit ensemble.

—Carla. Je ne comprends toujours pas ce que tu me reproches. Quand tu seras prête à me parler. N’importe quand, tu n’auras qu’un mot à dire et je serai tout prêt à t’écouter. Je ne peux pas repartir en arrière. Pas avec tout le chemin qu’on a fait.

Une nouvelle fois, je suis prête à tout lui dire, à le confronter à son attitude d’hier soir. Aux rapprochements que j’ai cru voir et à la réalité qu’il m’a assénée. Mais j’en suis incapable. J’ai trop peur d’entendre de sa bouche à quel point j’ai été naïve. De nouveau.

Je repense aux paroles de Laurie hier soir et fixe un déjeuner avec elle, dès le lendemain. J’ai besoin de me confier, même si je ne peux pas tout lui dire. Et elle est ma plus proche confidente. Celle qui saura garder le silence, même envers Lilian.

Je fixe le rendez-vous pour le déjeuner. La matinée est partagée entre le débriefing du weekend et une sorte de course poursuite qui a pour but d’échapper aux questions de Stephen et au regard de Tom, plein d’attente. Je ne m’en sors pas trop mal apparemment puisque j’arrive saine et sauve à mon déjeuner.

Cette fois, c’est dans un restaurant traditionnel que Laurie me donne rendez-vous.

Elle semble revenue à des goûts plus classiques et même à un appétit modéré. Il faut dire que son bébé -dont elle refuse toujours de connaître le sexe-, prend davantage de place et restreint son estomac.

Nous mangeons un moment en silence, avant que ma sœur ne mette les pieds dans le plat.

—Que se passe-t-il ma puce ? Samedi, tu n’as cessé de changer d’humeur. Comme si tu étais écartelée de l’intérieur.

Je me mords l’intérieur de la joue. Beau sens de l’observation sœurette.

—C’est encore Tom ? Reprend-elle.

Je soupire et lui raconte la façon dont il s’est imposé. Le choix que je vais devoir faire.

—Si ça ne te touchait pas, ça deviendrait mon feuilleton favori. Que s’est-il passé cette fois ?

J’hésite, gênée de lui en parler

—Ça t’est déjà arrivé de … de penser à un autre alors que, …

—Si j’ai déjà fantasmé sur quelqu’un pendant que je couchais avec un autre… Je ne te cache pas que parfois, Brad Pitt a rendu un mec beaucoup plus attractif. Avant Yvan bien sûr.

Je souris. Ma sœur a le chic pour désamorcer les situations.

—Mais je ne te parle pas de ça ! Je n’ai pas couché avec Tom samedi. Parce que j’aurais eu peur d’en imaginer un autre à sa place. Un homme en chair et en os. Avec lequel il n’y a rien de possible. Et pourtant, de plus en plus, c’est avec lui que j’aimerais être.

—Je le savais !! Tu as bloqué sur Simon Stera, claironne-t-elle en faisant allusion au champion de natation qui a fait flamber les petites culottes lors de sa visite de la rédaction il y a quelques jours. Je le savais ! Et dire que tu te moquais de Sandra. Coquine !!

—Non, ce n’est pas lui non plus, c’est, … quelqu’un d’autre.

—OK, Laurie redevient sérieuse. Et comment tu te sens ?

Maintenant que le plus dur est dit, les morts sortent pêle-mêle.

—Troublée, coupable, stupide.

—Coupable ? Par rapport à Tom, qui a une femme ?

—Ça ne justifie pas tout.

—C’est vrai. Mais il m’apparait de plus en plus évident que tu vas devoir prendre une décision. Pour lui mais surtout pour toi.

Laurie dit vrai. Nous le savons toutes les deux.

Pour ne pas me laisser m’appesantir sur mes soucis, Laurie reprend la discussion à son compte, en reparlant de la soirée.

—Dis-moi, tu m’as caché des choses, fait-elle mine de me reprocher.

Je déglutis. Mon aînée aurait-elle fait preuve de plus de perspicacité encore ?

—Je ne savais pas qu’en plus d’être beau garçon, … très beau garçon, même, Stephen chantait aussi bien… Votre duo, mamma mia !!! Je veux ça en salle de travail ! J’étais tellement embarquée que j’aurais pu accoucher sans péridurale.

Je pouffe de ce compliment franchement discutable.

—Quant à la déclaration, …

—Quelle déclaration ?

Laurie prend le temps de me dévisager, interloquée.

—Oh allez, tu as entendu comme moi la chanson ?

—Oui, je marmonne ma réponse. Je n’ai pas très envie de repenser à ça.

—Donc tu as noté aussi le changement de paroles. Malin, le garçon, …

—Quoi ?

Laurie s’amuse de ma surprise.

—Tu étais hypnotisée ou quoi ? Il en a modifié les paroles. Dans la version originale la chanteuse souffre de voir son ex repartir au bras d’une autre.

J’approuve sombrement. Je connais les paroles et le contexte de la chanson.

—Et là, quand il chante « je ne suis pas le gars qu’elle ramène à la maison », ça ne te donne pas l’impression de vous viser Tom et toi ? Et dans le dernier refrain, il a même dit « que TU ramènes ».

Je secoue la tête. N’importe quoi ! Je n’ai pas noté en tous cas. Laurie est sûre de son fait. Il faut dire qu’elle a enregistré les prestations de mon patron et les a réécoutées à plusieurs reprises.

—Je pense que c’était plutôt destiné à sa rousse.

Laurie pouffe de rire et me dévisage, trop concentrée pour être neutre.

—Je te rappelle que la rousse n’est arrivée que plus tard, presque comme une sorte de réaction à ton attitude … Tu serais pas un peu jalouse, ma puce ?

—Jalouse ? N’importe quoi ! Mais qu’est-ce que tu appelles une réaction ?

Je n’ai pu retenir cette question. Pourtant, je sais que Laurie a une imagination débordante, alliée à un grand sens de l’observation. Je suis en train de me mettre toute seule dans le collimateur de ma midinette de sœur.

—Ce que j’appelle une réaction, et je te ferai remarquer que je ne suis pas la seule à le penser, c’est qu’il t’a bouffée des yeux toute la chanson, … et même toute la soirée pour être honnête. Qu’il n’a ramené la rousse qu’après que Tom a clairement montré son instinct possessif en tentant de se rapprocher tout au long de la soirée, mais surtout quand vous êtes allés danser. Et si tu veux une preuve supplémentaire, il l’a virée dès ton départ, la rousse !

—Vraiment ?

Cette nouvelle me surprend. Quelque part, ça me réconforte un peu. Mais juste un peu.

Le regard de Laurie ne trompe pas. Elle guette la réaction que cette nouvelle m’inspire. Elle va être déçue. Je ne dirais rien de plus.

Laurie hésite à aller plus loin. Je sens dans son regard qu’en cet instant, elle regrette l’absence de Sandra. Notre belle-sœur serait probablement arrivée à me tirer les vers du nez.

J’adresse à ma sœur un sourire goguenard, elle retient de justesse l’envie de me tirer la langue. Et nous éclatons de rire de concert. Le repas s’achève tout aussi joyeusement.

Je reprends le travail, sans trop de conviction. Je ne parviendrai pas à grand-chose tant que je n’aurais pas crevé l’abcès. Presque malgré moi, je demande par message à Stephen s’il a un moment à m’accorder.

J’envoie très vite le message, puis jette mon portable dans mon tiroir que je referme, comme si ça pouvait cacher mon initiative.

Presque aussitôt, sa porte s’ouvre. Il est sur le seuil de sa porte et me regarde fixement. Sans un mot. Sans un geste supplémentaire. Juste son regard qui m’enveloppe entièrement sans que je puisse en isoler tous les sentiments.

Je me lève lentement. Une part de moi veut fuir. Une autre veut retrouver notre complicité. Une troisième aimerait espérer plus. Une dernière sait que c’est impossible.

Mon tout ne sait absolument pas ce qu’il va dire.

Stephen me propose un siège et sort quelques instants. Allons bon ! Est-ce une nouvelle méthode de déstabilisation ? Dans ce cas, elle est diablement efficace.

Une fois de plus, je me trompe du tout au tout. Mon patron revient juste avec deux cafés. Il dépose une tasse dans mes mains et s’appuie sur le bureau, face à moi.

Je frémis de sa proximité et me concentre d’abord sur mon café.

—Merci pour le café. Il est très bon.

Stephen ne retient pas un petit rire.

—Un café noir, sans sucre, le plus corsé qu’on ait en réserve. C’était dans mes cordes.

Il n’ajoute rien de plus, continue à me détailler en silence. C’est fou la puissance de son regard ! Je suis presque incapable de rompre le contact et le silence entre nous. Il y a tant à avouer et rien que je puisse lui dire sans risquer de compromettre notre amitié ou d’être humiliée.

—Euh, tu ne veux pas dire quelque chose ? Demandé-je. Comme ça je réponds, tu rebondis, je réagis, etc.

Stephen sourit.

—Je crois que c’est un truc génial qui s’appelle une discussion. Il faudra qu’on essaie un jour. Ça a l’air sympa.

Le silence retombe.

—Techniquement, reprend-il, j’ai fait ce que tu as demandé… amorcer la discussion. Mais si tu ne réponds pas, ça ne marche pas.

Un point pour lui. Il a la délicatesse de ne pas me faire remarquer que c’est moi qui lui ai demandé cette entrevue. Il me laisse venir à mon rythme.

—Je te dois des excuses. Pour hier. J’ai été….

—Froide ? Glaciale ? Inaccessible ? Exécrable ?

—Eh ! Ça va ! Je viens m’excuser. Tu pourrais m’aider !

—Je dois t’aider à parler ? T’aider à t’excuser ? Le tout sans comprendre ce que j’ai fait de mal au départ ?

—Je crois qu’il n’y a rien à comprendre.

—Et pourtant tu voulais une discussion dimanche matin. Et tout à l’heure aussi, puisque tu as demandé à me voir. Carla, je veux qu’on reparle de cette semi-discussion, au tournoi.

—Non. Je te dois des excuses. J’ai dit des choses que je n’avais pas à dire. Qui ne me concernent pas. Tu n’as pas obligation à me faire tes confidences et j’ai été trop loin. Pardon.

—Non, je voulais te dire que je suis prêt à te parler.

J’hésite. Je voudrais entendre ces mots de sa bouche, pour passer à autre chose. Mais je n’en ai pas le cran.

—Non, non. Ça va aller. Je sais le lien qu’on a créé … enfin je crois.

Stephen approuve d’un signe. Je me détends.

—Je ne veux pas perdre ça.

—Qui te dit que tu perdrais quoi que ce soit ? Ce n’est pas toi qui me reprochais mes silences ou des mensonges ? A la différence de ce que tu m’as dit hier, je vais t’accorder ma confiance et me dire que si tu te tais, c’est que tu as toutes les raisons de le faire et que j’espère que tu me diras le fin mot de l’histoire. Quand tu seras prête. Parce que je peux tout entendre. Tout comprendre.

Je prends le temps de réfléchir. Il a peut-être raison. Quoique. Comment pourrait-il continuer à me regarder de la même manière s’il savait ? Qu’il m’attire. Que je m’imagine trop facilement dans ses bras. Alors que techniquement je n’ai même pas rompu avec son ami.

Décidément, le silence est une meilleure option.

Voyant qu’il n’obtiendra rien de plus, Stephen me tend la main. Ça va. C’est un contact anodin. Je devrais le gérer. Si on excepte la traître nuée de papillons qui virevoltent dans mon ventre, ça va.

—Amis ?

Je secoue la tête frénétiquement.

—C’est heureux. Les compliments pleuvent. Sur notre binôme mais surtout sur toi. Il y un a un qui a parlé de la « journaliste sportive la plus brillante de sa génération » ! Ça veut dire qu’au boulot aussi on fonctionne. Je ne veux pas perdre ça. Mais je ne veux pas non plus perdre ce qu’on a en dehors. Avec ou sans silence. On a un deal ?

Demande-t-il en me tendant sa main pour que je tope mon accord.

Je ne m’en prive pas. Je ne suis pas très fière de mon silence. Je n’ai pas avancé face à mon dilemme. Mais au moins, je ne l’ai pas perdu.

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