Titre Topographie de la Terreur
Auteur Régis Descott
Éditeur l’Archipel
Date de sortie 19 janvier 2023
Un titre à découvrir ici Topographie de la Terreur
Le Berlin du début des années 40 est une ville qui a presque banni la criminalité. Cela vous surprend ?
Pourtant, selon les chiffres officiels, le III° Reich a éradiqué le crime comme tout ce qui nuisait à l’esprit national socialiste. Dans ces conditions, la Kripo (brigade criminelle) est plus souvent occupée à soutenir la traque des derniers Juifs et des opposants.
Dans cet état fanatisé, tous sont bien décidés à servir parfaitement l’Etat et sa philosophie et à tenir bon alors que la guerre fait rage partout autour.
La preuve ? Les alertes aériennes qui rythment la vie des Berlinois et rajoutent à l’atmosphère anxiogène de la capitale qui flirte entre immeubles en ruines et vies détruites.
Dans ce contexte oppressant où chacun, collègue, logeuse, ancienne connaissance ou client, peut protéger au péril de sa vie ou dénoncer pour des prétextes allant du fanatisme à l’intérêt financier, difficile de mener une existence qui s’apparente à autre chose qu’une survie dans l’attente.
L’attente d’un départ, d’un changement de régime, l’attente doublée de crainte –ou d’une forme de soulagement- de la fin de la cavale et de la traque.
Dans ce contexte évolue Gerhard Lenz, inspecteur de la Kripo à la vie loin d’être exemplaire pour un fonctionnaire de l’appareil nazi. Il porte un regard critique et désabusé sur l’Etat et ses dérives et pour cause. Un frère journaliste et homosexuel ce qui, depuis l’arrêté 175, est un crime contre l’Etat ; une maîtresse juive qui attend un enfant de lui ; un dégoût pour les rafles antisémites dont il essaie de soustraire, comme il le peut, l’une ou l’autre des victimes désignées.
Son existence flirte avec les limites, il le sait. Il n’y a qu’à lire la réticence de sa concierge à ses entorses répétées aux règles pour en être convaincu. Il refuse de lui laisser le double de ses clefs, contrairement à la loi, ne semble pas très vif à exercer le salut nazi. Dans ce contexte, il n’est pas superflu de noter tout ce qui le concerne, les déplacements, le numéro du taxi qui le transporte, lui et son intrigante invitée.
Tout le monde peut être suspect. Chacun peut se révéler coupable. Dans ce contexte, comment accorder sa confiance ? Alfred, l’adjoint de Gerhard, semble réactif à quelques remarques libres, quelques entorses bénignes. Il est pourtant un produit des Jeunesses Hitlériennes. À qui va alors sa loyauté ? À cet enquêteur qu’il admire ou au Führer qu’il a appris à servir aveuglément.
Dans cette atmosphère pesante et oppressante se produit l’impensable. Un meurtre. Impossible de douter de l’homicide commis sur le Docteur Krause. Un homme sans histoire ? En apparence oui. Un homosexuel qui cachait ses préférences sexuelles mais aussi un médecin en charge de la vague d’éliminations des handicapés.
De quel côté orienter son enquête ? Dans quelle direction ne pas regarder ?
Dans ce roman riche et bien documenté, l’auteur réussit à la fois une enquête de bonne facture et un tableau de l’Allemagne nazie dans toute sa pesanteur quotidienne.
J’ai été sensible à la première mais pour tout dire j’ai sans doute été davantage encore fascinée par la vie quotidienne des Berlinois pris entre tous les feux du danger venant de l’extérieur comme des plus intimes.
Le roman, riche, n’est jamais obscur grâce à la façon dont le cadre est posé, dont l’Histoire des heures sombres se mêle habilement à l’histoire de Gerhard, de sa famille et de ses proches.
C’est donc un ouvrage à recommander à la fois aux adeptes d’enquêtes policières mais également aux férus d’histoire qui souhaitent se rapprocher de plus près du quotidien des Allemands, premières victimes du nazisme.
Ça tombe bien, j’entre dans les deux catégories. Deux bonnes raisons de dévorer ce livre, tout autant de découvrir, je l’espère, d’autres ouvrages de cette plume.