Titre Insignis
Auteur Charlotte Letourneur
Editeur les Nouveaux Auteurs
Date de sortie 10 novembre 2022
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Et si, pour votre première enquête dans votre nouveau commissariat de province, vous êtes appelé sur un banal accident de la route, qui pourrait bien cacher un meurtre ?
Et si ce genre de décès aussi glauques qu’incompréhensibles se multiplient, sans autre dénominateur commun que celui de trouver sa place sur le web, dans ses recoins les plus sombres et les plus initiés ?
Et si, au fur et à mesure que l’enquête avance ou s’égare, les éléments, loin de s’éclairer, entouraient Brice Caley, le protagoniste de cette histoire, d’un voile bien difficile à ouvrir ?
Et si, Charlotte Letourneur, pour ce premier roman policier, après avoir publié des romans fantastiques marquants sous son autre nom de Charlie Genet, signait ici un roman plein de rebondissements, d’impasses et de fausses certitudes, tellement réussi qu’il a été distingué par le prix 20 minutes, en 2022, et par son président du jury Maxime Chattam ?
C’est, me direz-vous, l’assurance d’une lecture prenante et particulièrement réussie ?
Vous aurez raison, mais c’est un peu court, comme raisons. Alors, je vais tenter d’aller un peu plus loin.
Insignis commence comme une banale enquête de routine. Un tragique accident de la route a opposé un camion et une voiture. Personne n’en est sorti gagnant. Quoique. Des indices nets laissent à penser que quelqu’un a vu cet événement comme une sorte de jeu macabre dans lequel il n’y a que des victimes.
Comme première enquête, Brice Caley aurait pu trouver plus simple. J’ai beaucoup aimé le travail mené sur ce personnage. Son parcours est atypique -il a grandi dans une cité difficile avant d’être pris sous l’aile d’un flic à l’ancienne- ; il en retire une sorte de sentiment d’illégitimité dans la maison, qui se traduit par une tendance marquée à la méfiance et à la solitude.
Pourtant, là, il va devoir apprendre à faire confiance et à travailler en collaboration, notamment avec le mulot, redoutable informaticien aussi mal à l’aise dans le monde que lui, ou presque. Il va être ses yeux et ses oreilles sur les réseaux, mais aussi sa tête pensante dans un univers que Caley ne maîtrise pas.
Ses autres équipiers, Brice leur fait une petite place au fur et à mesure que le jeu le dépasse.
Car il y a de ça, dans Insignis, un jeu cruel et malsain, moitié snuff movie, moitié roulette russe, qui regroupe des inventifs de tout poil dans une étrange compétition.
Et si Brice, par son attitude ou sa personnalité, devenait l’un de ses enjeux, ou pire encore, l’un de ses joueurs.
L’enquête est menée avec beaucoup de minutie. Charlotte Letourneur distille des pistes et des indices. Pourtant, aucun ne se livre facilement. Là où on pense avoir trouvé une avancée définitive, elle referme avec un petit sourire sadique la porte devant nous.
Surtout, elle insère dans cette enquête deux personnages aussi fascinants que mystérieux.
Le premier est une psychothérapeute, Noemie Millet. Professionnelle sérieuse et investie le jour, elle se transforme la nuit en une créature bien différente qui l’aide à construire l’illusion qu’elle contrôle sa vie.
Ce besoin de contrôle, il faudra avancer dans le livre pour mieux le comprendre. Là encore, vous pourrez d’abord emmêler vos neurones dans des hypothèses tordues, en cherchant des connexions qui n’existent peut-être que dans votre imagination.
Ce personnage est énigmatique dans son comportement. J’ai surtout apprécié de la voir se débattre dans le piège que devient sa vie.
Effectivement, elle est la cible d’un mystérieux individu qu’on n’aimerait pas compter dans sa liste d’amis, le tourmenteur No One. Il illustre l’une de mes pires angoisses de notre monde de plus en plus numérique, la prise de contrôle.
Réfléchissons un instant à tout ce qui nous entoure : comptes bancaires, abonnements, téléphonie, j’en passe et des meilleures. Et si tout ceci était utilisé, modifié, détourné, supprimé ?
Il y a, dans Insignis, outre une enquête policière qui, je le répète, est de très belle facture et flirte avec l’underground du web le plus sombre, une dimension très contemporaine que j’ai autant appréciée que je la redoute, autour du danger que représente la trop grande incursion du numérique, du virtuel et autre dans nos vies. Et s’il ne s’agit pas là du thème principal de l’histoire, il a touché mes cordes sensibles pour en faire ce type de roman qui gratouille un peu sous la surface.
Mais, je l’ai déjà dit, Insignis est surtout un excellent polar ; L’ambiance en est volontairement sombre. Les suspects sont aussi nombreux que les mobiles sont complexes à appréhender.
Servi par l’écriture précise et efficace de Charlotte Letourneur, qui maîtrise parfaitement le poids des mots, appuyé sur un sérieux travail de documentation qui rend l’ensemble très crédible, Insignis va surtout vous offrir quelques heures d’angoisse et de réflexion qui n’appellent qu’une remarque finale : je suis une inconditionnelle de Charlie Genêt, la géniale auteure de Fantastique, d’Alois à Nemesis. À quand la nouvelle pépite de Charlotte Letourneur, la pépite du polar ?