Titre Juste ma coloc
Auteur Pauline Libersart
Éditeur Audélio Editions
Date de sortie 15 novembre 2021
Un titre à commander ici Juste ma coloc
Il y a deux ans, Arthur Slade Tomkins avait tout, ou presque.
Fils de bonne famille, étudiant dans une très bonne université, tombant les filles comme des mouches malgré une fiancée très officielle et très artificielle, il ne manquait rien à son bonheur ou presque.
Un sacré presque tout de même comme l’affection et le soutien de ses parents et surtout comme un peu de plomb dans la cervelle, de respect des autres, de sens des valeurs.
Il y a deux ans, il a appris ces valeurs à la dure, après un intermède qui a tout changé. Sa position sociale, sa relation aux autres, son apparence et sa vision du monde.
Désormais dans l’urgence de tenir jusqu’au lendemain, il vit dans un meublé minable aux murs si fins qu’on entend absolument tout. Tout, y compris le junkee en manque qui vient terroriser sa voisine, une jeune fille, à peine une femme qui survit de son mieux de taudis en taudis sans perdre de vue son but, finir le lycée, faire des études à l’université et y décrocher le sésame, un diplôme de littérature espagnole.
Dans un monde normal, ils n’auraient jamais dû se croiser.
Dans le monde de Slade, coincé entre trois boulots qui lui offrent juste quelques heures de sommeil chaque nuit, il n’aurait dû se mêler de rien, laisser la petite gérer seule ses problèmes et basta !
Seulement voilà, même dans une mécanique bien huilée peut se glisser le grain de sable qui va tout changer.
Alors Slade, sans savoir pourquoi, intervient. Une fois, deux fois, il vient en aide à cette fille qu’il ne connaît pas.
Pour elle, Gabriela Martins, mais aussi pour lui, il émet la proposition la plus saugrenue qui soit. Unir leurs solitudes, leurs espoirs et leur maigre pécule pour trouver mieux, plus grand, plus sûr.
Cet espoir apparaît rapidement pour une drôle de solution. Un appartement en colocation dans la maison de Alma Martinez. Cette maîtresse femme, veuve, a réuni autour d’elle une drôle de tribu aussi hétéroclite qu’attachante : Juan et Lucia Carrillos, les jeunes parents du petit Antonio, Eva Corbello, jeune princesse nombriliste et Enrique, son propre fils.
Tous ces noms ont des consonnances communes pensez-vous ? Ah oui, il faut peut-être préciser. Cet appartement de rêve se situe en plein cœur du Barrio, le quartier hispanique où un Viking comme Slade, cheveux ras, sourcils blonds, piercings et tatouages en étendard, ne passe pas inaperçu.
Très à cheval sur les convenances, Mme Martinez ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée d’un tel énergumène, à plus forte raison en colocation avec la fille de son amie. Pensez plutôt ! Un homme au tel pedigree vivant, sans même être mariés, à une chambre -officiellement- de la fille d’une de ses amies.
D’ailleurs, personne ne comprend grand-chose à cet étrange binôme, ni le padre de la communauté, ni Marina, la meilleure amie de Gabriela, pas plus que les collègues de Slade au club où il est videur et où sa réputation de sérial baiseur n’est plus à faire.
Pourtant, entre le Viking et sa baby collègue se met en place un étrange modus vivendi et pour le lecteur, une lecture très agréable.
J’ai aimé cette histoire parce qu’elle donne une bouffée d’espoir. Slade considère souvent que Gabriela est son porte-bonheur et il y a de ça. L’enchaînement des événements, qui permet à chacun de s’épanouir, de s’affirmer et de sublimer ce qu’il y a de meilleur, est très touchant à suivre.
Ensuite, j’ai beaucoup apprécié la famille de bric et de broc qui se construit autour de Tia Alma. Chacun y a son rôle -quoi que je n’aie toujours pas compris celui d’Eva- et il s’y forge une amitié aussi forte que touchante.
Le lien fraternel entre Enrique et Slade, presque instantané et d’une évidence totale, est si éloigné de ce qui unit Slade à son frère de sang Robert qu’il n’en est que plus précieux.
D’ailleurs, de manière générale, c’est l’évolution de Slade qui est, à mes yeux, le point très fort de ce roman. Au début de l’histoire il assume le rôle de connard dans lequel il semble avoir baigné depuis toujours ou presque. Il n’intervient pas par bonté, mais juste pour pioncer en paix, c’est dire !
Il n’a pas d’attaches, ne fait confiance à personne et n’attend rien des autres. Pourtant, son arrivée dans ce quartier où rien ne semble l’attendre, lui donne une autre dimension. Il se fond dans le groupe, au départ, pour garder un toit sur sa tête. Mais peu à peu, non seulement il se plaît dans ce groupe, mais il s’y intègre si parfaitement que, lorsque le besoin s’en fait ressentir, toute la communauté se mobilise aussi pour lui. Cette intégration accompagne une véritable métamorphose.
Cet aspect est très bien maîtrisé par l’autrice et il est tout aussi touchant. Lui, le garçon qui ne savait pas où faire sa place autrement qu’avec ses poings ou ses coucheries, devient enfin quelqu’un qui compte et qu’on aime pour ce qu’il est. C’est beau, surtout lorsque le soutien vient de là où on ne l’attendait vraiment pas. C’est effrayant aussi et souvent, les réactions de Slade m’ont donné envie de le secouer pour l’inciter à oser revendiquer plus.
Pas facile avec le passé qui est le sien et des années d’indifférence d’admettre qu’on vaut quelque chose, qu’on compte pour les autres. Ce roman est donc une initiation à la confiance.
De la même façon, j’ai aimé voir mûrir Gabriela. Dès le départ, j’ai eu de l’admiration pour sa résilience et sa manière de faire face. Un gros instinct protecteur aussi, mais ça, je laisse à Slade le soin de combler la place.
J’ai eu un peu de mal à me positionner face à babycoloc. D’un côté, elle est de la maturité de ceux à qui la vie n’a pas donné le choix. Elle étudie, travaille, tient sa maison, une vraie adulte. D’un autre, c’est encore une adolescente avec ses grandes amitiés et ses premiers flirts. Mais sur le plan amoureux, c’est carrément une petite fille. Il n’était pas simple de mener toutes ces facettes de front pour en faire un personnage attachant, parfois naïve et immature, souvent surprenante et incroyablement solide. Pauline Libersart a mené l’exercice avec talent.
Ensuite, j’ai aimé les thèmes sous-jacents de ce roman. J’ai déjà évoqué l’intégration dans une communauté de culture et de cœur. Il y a aussi, à l’inverse, tout un pan de l’histoire -dont bien sûr je ne vais rien vous dévoiler- qui parle de différences et d’acceptation. Acceptation de soi et acceptation dans le regard des autres, les deux pans de la question sont traités en délicatesse avec des personnages attachants et bien travaillés.
Le parallèle entre Slade, qui a du mal à admettre ses choix et d’autres personnages qui doivent admettre qui ils sont est finement géré et donne un résultat touchant.
Cette histoire parle aussi des apparences dans lesquelles on nous enferme ou dans lesquelles on s’enferme soi-même. Pas facile de briser l’image que les autres ont de soi. C’est à la fois un défi et une aventure effrayante car elle met d’un coup à terre toute la carapace qu’on a mis des années à façonner.
Mais ce roman est aussi une romance. Là aussi, l’autrice m’a emportée dans un slow burn des plus réussis. Il est cohérent avec toute la construction de son histoire. Il est prenant, frustrant parfois du fait des volte-face de l’un ou de l’autre.
Là encore, à plus d’une reprise, j’ai souhaité que quelqu’un secoue les deux têtes de mule pour leur ouvrir les yeux sur ce qui crève l’écran. Heureusement, ils ont des amis pour ça, mais rien n’est plus difficile que de prendre le risque de tout perdre quand on a construit un édifice aussi beau que délicat.
C’est ce défi que Pauline Libersart a relevé avec défi dans ce roman délicieusement prenant que je vous recommande totalement … tout en glissant qu’elle a semé trop d’indices pour nous abandonner longtemps loin du Viking, de sa babycoloc et de leur drôle de famille !