Titre Héliopolis
Auteur Céline E Nicolas
Date de sortie 9 avril 2021
Un titre à commander ici Héliopolis
L’une des choses que je préfère dans les lectures de l’imaginaire, en particulier les dystopies, c’est qu’elles permettent à la fois de faire partir le lecteur loin de son quotidien, mais lui offrent aussi, lorsqu’elles sont réussies, un bel éclairage sur le présent et de quoi ressentir et réfléchir.
Partie de ce critère, laissez-moi vous dire tout de suite qu’Héliopolis, ma première rencontre avec Céline E Nicolas est une très très bonne dystopie.
Laissez moi vous poser le décor.
L’humanité, à force de pollution et de destruction des espèces, a pourri la vie sur terre. Si vous vous sentez interpelés, ça commence bien.
Pire, elle a ignoré les avertissements des lanceurs d’alerte et de tous ceux qui voulaient préserver ce qui pouvait encore l’être. Une seule façon pour préserver la vie: construire des bunkers et y accueillir une population capable de repeupler la Terre, sans commettre les mêmes erreurs, quand la planète sera à nouveau prête à nous accueillir.
Ainsi sont nées Heliopolis, Terranide, Oestria, Twilarys et Mallaha.
Dans chacune, seuls trois millions de personnes ont pu entrer lors du Grand Exode. Ils y sont restés plusieurs siècles.
Et ce sont désormais les descendants de ces premiers sauvés qui peuplent la démocratie Unitopienne, dans une devise idyllique « pureté, unité et bienveillance ».
Parmi eux, deux fillettes, puis jeunes femmes, Aheli et Freyia sont de parfaits exemples des habitantes d’Heliopolis.
La première est devenue docteur, spécialisée dans le traitement de la fertilité. La seconde est devenue historienne, spécialisée dans l’étude des civilisations pré-exode. L’une comme l’autre sont un peu à part dans la société idéale d’Heliopolis. En effet, elles refusent le programme de reproduction contrôlé proposé par la toute puissante société Solaris.
Ah oui, j’ai oublié de vous donner un petit détail qui est, à mon sens, une des excellentes idées de ce roman: Heliopolis n’est peuplée que de femmes.
Les différents résultats de la pollution ont eu une conséquence durable sur les chromosomes masculins qui sont devenus, dans Unitopia, plus rares encore que le plastique ou un ordinateur portable.
Aussi, ces hommes, les reproducteurs, vivent à l’écart de la population, dans des unités de vie contrôlées par Solaris.
Ils ont accès à tout le confort, sont protégés et ne doivent, en échange, qu’une chose, fournir une récolte régulière de semences traitées et conservées pour être implantées.
Tout est très codifié dans ce processus où le quotient génétique des femmes, fondé sur leur bagage génétique, leur niveau d’études et leur richesse -ou leur degré d’endettement- leur permet d’accéder à des procréateurs de plus ou moins haut niveau. La semence des élites fait l’objet d’une véritable spéculation et ces messieurs eux-mêmes sont des objets de culte exposés lors de Men’s week aux petits côtés « foire aux bestiaux »
Sur le papier, tout fonctionne parfaitement. Chaque mère met de l’argent de côté pour prolonger ces lignées matriarcales. Les reproducteurs distribuent généreusement leurs spermatozoïdes de compétition
L’amour? Disparu entre individus de sexe opposé.
Le sexe? Une éprouvette et quelques manipulations en ce qui concerne la reproduction. Des Sextoys ou des relations lesbiennes pour les sensations.
Bref tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Sauf que la machine s’enraye lorsque Sterenn Solaris, un reproducteur de compétition, donne des signes de faiblesses: récoltes d’une quantité et d’une qualité déplorables, caractère irascible, risque d’implosion à prévoir. Seule sa soigneuse personnelle, Ita, peut encore l’approcher.
C’est la raison pour laquelle Solaris fait appel à Aheli en espérant que ses méthodes, éprouvées pour améliorer la fertilité des femmes, puisse aussi être efficace sur les hommes.
Mais tout ne se déroule pas aussi bien que ce qui fonctionne sur le papier, ni à Solaris, ni dans Heliopolis où des mouvements de résistance, unifiés dans la Cause d’Amelia Deroche cherchent à s’opposer à ce qui apparaît de plus en plus comme des atteintes aux libertés de chacun.
Bien évidemment, je ne vous raconterai pas plus de l’histoire, sinon qu’elle a bousculé pas mal de codes et qu’elle m’a totalement happée jusqu’à la dernière ligne
Tout d’abord, j’ai aimé que son origine soit aussi clairement définie. Souvent dans une dystopie, on parle vaguement d’un grand cataclysme. Là, on en pose précisément les bases et les responsabilités. Leur réalisme peut faire frissonner d’inquiétude. Pour ma part, ça m’a ancrée dans le récit.
Ensuite, j’ai tout de suite adhéré à l’écriture de l’autrice, notamment à cette subtilité de définir une façon de s’exprimer, de penser, clairement différents entre les deux protagonistes principaux.
D’ailleurs, le fait que certaines scènes soient vues alternativement par deux regards apporte un très joli décalage.
J’ai aussi beaucoup aimé les personnages. Aheli, anti-conformiste dès le prologue, qui prépare des femmes à accueillir des enfants sans en vouloir elle-même, capable de remettre en cause le système tout en se retrouvant soumise à ses Diktats.
J’ai surtout été sensible à sa façon d’analyser le monde autour d’elle pour en cerner les failles. J’ai été émue par sa force et sa détermination et par son fort tempérament. Si un obstacle se dresse, ce n’est que pour lui permettre de sublimer sa façon e le contourner.
Sterenn m’a aussi beaucoup touchée. On pourrait envier le confort de sa vie, la façon dont il est adulé, tous les avantages qui l’entourent. La réalité est différente et la voir à travers son prisme remet en perspective, non seulement l’apparence de ce roman, mais plus largement pas mal d’idées préconçues sur ceux que nous classons comme nos idoles.
J’ai eu des sentiments forts aussi en ce qui concerne Ita. J’ai aimé son dévouement, sa façon de tout faire pour faciliter la vie de Sterenn alors même que les règles de Solaris sont solidement implantées en elle.
Une sensation plus mitigée concerne la mère d’Aheli, obnubilée par son idée d’enfant et qui projette sur sa fille ce qu’elle estime être la normalité pour en faire une obligation. Au premier abord, son caractère un peu obtus m’a déplu avant de me souvenir qu’elle est, elle aussi, prisonnière d’un moule dans lequel elle a été façonnée, tout comme les employés de Solaris ou plus largement les Unitopiens.
Dans cette perspective, des personnages comme Aheli ou Freyia -que j’aurais aimé davantage découvrir- prennent toute leur importance.
L’autre élément de ce roman qui m’a captivée, c’est l’inversion des codes. Dans une société volontiers patriarcale, où les hommes sont souvent dominants et les femmes exhibées comme des objets de désir ou des potiches pour appâter le chaland, j’ai adoré que cette fois, ce soient les hommes qui soient les objets et les enjeux des convoitises de ses dames.
Par contre, la réflexion sur une certaine forme d’eugénisme -où seuls les plus riches, les plus intelligents ou les deux auraient droit au meilleur procréateur- m’ont fait frémir, parce que là encore, ça renvoie à beaucoup d’éléments concrets.
Mais le point le plus fort de ce roman, c’est celui dont je ne vous parlerai pour ainsi dire pas, à savoir l’intrigue interdite qui sous-tend toute l’histoire et remet en cause les certitudes, les a priori et les acquis.
Je le disais en préambule, c’est ma première rencontre avec la plume de Céline E Nicolas. Mais vu la qualité de son histoire, des thèmes qu’elle y a abordés, tout en finesse, et sa façon de construire un roman prenant, plein d’émotions et qui laisse dans son sillage tout son lot de questionnements, ce ne sera certainement pas le dernier!