Bonjour à tous. J- une poignée d’heures avant la sortie de Boss Challenge.
Comme chaque fois, j’oscille entre l’excitation d’avoir vos retours, l’émotion des premiers mots des blogueuses et le stress. Et visiblement, la 5° fois n’est pas plus zen que la première.
Merci à vous d’avoir accompagné ce compte à rebours. Et pour finir en beauté, je vous offre le premier chapitre…
Vous pouvez en trouver un peu plus sur le site des Éditions Addictives que je remercie encore de leur confiance.https://editions-addictives.com/catalogue_ebook/?com=bkFhZnZNJUEySTQ5JHBsN2FabmJnSyVBRldyTSRBYldvZ3U3dFlpQnExdVVlQSVYZzNlUW4lZSE=#ZIMO_001
Sinon, installez vous bien, lancez ce morceau https://www.youtube.com/watch?v=mdJDPepGOAM et savourez.
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Timo
Respire, Timo, respire, tu peux le faire…
Le cerveau en vrac, les nerfs à fleur de peau, ça fait près d’une heure que je roule et passe en boucle devant l’entrée de la boîte la plus courue de Rome, sans parvenir à y entrer, malgré les quelques verres que je me suis envoyés pour me donner du courage.
Du courage pour aller en boîte ? Rien à faire, je touche le fond. C’est pas comme si je n’y avais pas passé plus de nuits que je ne saurais en compter. Ce n’est pas aller en boîte qui me donne envie de dégueuler mon whisky dans le caniveau. C’est ce que je vais y faire. M’y prostituer ! Pas au pied de la lettre, non, pas jusque-là ! Mais j’ai fait pas mal de conneries dans ma jeunesse, et j’en paie encore le prix.
Ce soir, je vais juste jouer le rôle pour lequel j’ai signé, il y a cinq ans. Quatre ans, sept mois, deux jours et quelques heures, pour être exact. Oui, oui, je tiens le décompte. Le compte à rebours est entamé. Le vingt-quatre août prochain, à quatorze heures quarante-six exactement, je serai un homme libre.
D’ici là, les bips qui se succèdent sur mon portable me rappellent que je dois encore tenir. Impossible d’attendre plus longtemps, Fiorella a l’air au-delà de tout stress raisonnable. Ça promet !
J’arrête la playlist sur « Hurricane » de Thirty Seconds to Mars, quitte la tapageuse voiture de sport dans laquelle je m’étais réfugié, délace légèrement les liens de ma tunique en cuir et ébouriffe mes cheveux bruns. Les filles raffolent de ce petit look faussement négligé. Qu’importe ! Ce soir, c’est pour la galerie. J’ajuste le slim clouté de ma dernière collection – note pour l’atelier, attention à la position des clous, bordel ! – et je m’avance, nonchalant, vers la foule massée devant les portes.
Intérieurement, mon coeur bat à deux cents, tout mon corps est tendu par l’effort que je m’impose. Vu de l’extérieur, pourtant, l’illusion est parfaite. Le créateur en vogue, en route pour rejoindre sa femme, son ex-mannequin vedette, au lancement de son magazine Style & People.
Les capacités de Fiorella étant nettement plus développées dans le second volet que le premier, j’ai peur du résultat. Non, ce n’est pas totalement vrai. Je suis surtout écoeuré d’être associé à cette nouvelle lubie. Bien sûr, son père l’a financée, comme tous ses autres caprices – dont moi – pour s’assurer un peu de paix.
Alors que je remonte l’impressionnante file d’attente, je sens les premiers murmures, les premiers cris de surprise. Les premiers flashs qui frappent ma peau. Ça y est, le cirque est lancé. Bientôt la rumeur enfle. Timo ! Timo ! Timo !
Je m’arrête à peine pour un ou deux selfies. D’habitude, je suis plus disponible pour mes fans. Mais ce soir, ça va pas le faire. Désolé les filles, je ne suis dispo ni pour un sourire ni pour plus.
J’hésite à traiter avec la même distance les photographes de presse. Je m’abstiens à la dernière seconde. J’ai déjà deux heures de retard, inutile de charger mon ardoise.
Pourtant, ils sont nettement moins délicats que les fans. Leurs questions sont plus directes. Elles font monter d’un cran mon envie de tout envoyer bouler.
– Timo, on commençait à s’inquiéter. Fiorella est arrivée depuis un moment déjà.
– Normal, c’est sa soirée. Je ne suis qu’un invité.
– La première de Style & People vous est consacrée, c’est tout de même un signe, non ?
Je me mords la lèvre. Évidemment que tout le monde voit un signe dans ce putain de premier numéro ! Il n’y a pas à dire, question communication, ma femme est une reine.
En apparence rieur, je hausse les épaules.
– Ma modeste contribution à son envol.
Bien peu comprendront ce qu’il y a à entendre derrière ces paroles, tant pis ou tant mieux. Je ne sais même plus.
– Peut-on voir ça comme une réconciliation ? insiste, en papillonnant, la journaliste du premier site people d’Italie.
Je n’ai pas le temps de répondre. Pour une fois, l’impatience de Fiorella me rend service. Un nouveau message me permet de me tirer de là. L’attachée de communication de ma femme respire plus librement en m’apercevant.
– Enfin, Timo, tu abuses ! Elle est dans tous ses états et tu as deux heures de retard…
– Relax, Sonia ! Je suis là. Et en plus, personne n’a pu rater mon arrivée. C’est tout bénef, non ?
Sonia pince ses lèvres fines.
– Mouais, tu sais qu’elle voulait des photos de vous deux…
Mon sourire insolent tient lieu de réponse. Raison de plus pour ne pas être à l’heure. Je me dirige au bar en assurant le service minimum, deux ou trois poignées de mains, autant de bises hypocrites. Lorsque je récupère mon verre, je suis déjà au bord de l’implosion.
Je laisse lentement l’alcool glisser dans ma gorge. Un autre whisky. Le cinquième, peut-être le sixième. Je ne tiens pas les comptes ce soir, pas ceux-là en tout cas. C’est trop. Mais à peine suffisant pour tenir le temps que j’ai prévu de lui accorder.
Et encore, ça, c’était avant que je ne la repère. Je dois devenir aveugle. Ma femme scintille au milieu des spots. Je ne devrais pas être surpris. Elle a choisi la tenue la plus tapageuse de la dernière collection que j’ai signée pour la maison de couture de son oncle, Biaggi, avant de claquer la porte il y a dix jours. C’est loin d’être mon meilleur travail.
Un modèle asymétrique rouge vif, entièrement rehaussé de pierres Swarovski de même teinte. Un moment, j’avais pensé l’appeler « Boule à facettes ». Je me suis contenté d’un « Incandescence ». On est en plein dans le thème. Ses cheveux faussement blonds s’allongent artificiellement d’une queue-de-cheval haute jusqu’au creux de ses reins, dévoilés par son décolleté vertigineux. Sa cambrure naturelle accentue l’aspect provocant de ma création et en fait un véritable appel à la luxure. La plupart des mâles de l’assistance ne l’entendent pas autrement, déjà suspendus à la moindre de ses oeillades. L’un d’entre eux danse même si près d’elle que, en toute logique, je devrais le déloger d’une place qui ne lui revient pas.
Je préfère siroter un autre verre.
– Pas jaloux ? C’est heureux.
Je hausse les épaules et m’apprête à rembarrer le provocateur. Pardon, la provocatrice. Je dois être plus bourré que je ne le pensais pour ne pas avoir perçu une voix féminine, légèrement cassée, mais tout ce qu’il y a de plus sensuel.
Je m’abstiens de lui répondre. Pour lui dire quoi ? Qu’il y a bien longtemps que je ne me soucie plus de ce que fait ma femme dans le privé, du moment qu’elle m’octroie la même liberté ? Je ne sais même pas si j’ai vraiment été jaloux lorsque Fiorella mettait en route son besoin viscéral de séduction. Peut-être au début. Oui, sans doute, les premiers mois, quand elle cherchait à me faire réagir et que je démarrais au quart de tour.
Quand je vivais mal le fait d’être devenu le cocu le plus célèbre de Rome. Maintenant, tout ce qu’elle obtient de moi, c’est un sourire goguenard qui a le don de la rendre dingue. De toute façon, même si elle avait un coup de coeur qui la décidait à hâter les événements… je serais le premier à m’en réjouir.
Mais bien sûr, hors de question de confier ça à une inconnue, si séduisante soit-elle. Et celle-ci l’est, indubitablement. Cheveux d’ébène, regard de la teinte d’un café serré. Des lèvres pulpeuses soigneusement peintes dans une teinte assez neutre.
Je reste fixé dessus, quelques secondes de trop.
– Un grenat profond serait mieux. Sur vos lèvres. Elles méritent mieux que d’être ainsi camouflées.
L’inconnue frémit sous mon regard. Je souris. C’est presque trop facile. Je pousse l’avantage en lorgnant le décolleté subtil qui s’offre à mon regard. Il dévoile à peine la naissance de seins fermes et haut perchés, mais fait naître une seule idée, les dévoiler. Subtil, élégant, une coupe trop classique à mon goût, mais un travail irréprochable, sexy presque par hasard.
– Carino Baldi… votre tenue. C’est la dernière collection de chez Carino Baldi. Vous avez bon goût. Un peu trop sage sans doute, mais élégant. Bon choix.
Ma cavalière improvisée sursaute et plonge son regard au plus profond du mien.
C’est moi ou la température est montée en flèche ? Je me sens subitement trop à l’étroit dans ma tenue ajustée, trop à l’étroit dans cette boîte. Trop à l’étroit dans toute cette comédie.
– Si j’étais effectivement jaloux, vous m’escorteriez dans un endroit, disons… plus isolé ?
Je ne sais pas d’où est sortie cette phrase digne du recueil des pires méthodes pour draguer, mais en cet instant, elle m’apparaît évidente. Le rire de l’inconnue me cueille à froid, d’une part, parce qu’il parle à toutes mes terminaisons nerveuses et, d’autre part, parce qu’il suinte le mépris.
– Oh, Signor Brennen, c’est trop d’honneur, minaude-t-elle en papillonnant des yeux, agitant des cils incroyablement longs. Pour venger votre honneur bafoué, vous seriez prêt à me culbuter dans un coin ?
– Quoi ? Non, je ne pensais pas du tout à…
– Oh, vraiment ? se marre-t-elle en décochant un regard explicite à mon entrejambe indiscrètement moulé. Ce n’est pas l’impression que ça donne, pourtant. Ne vous fatiguez pas. Votre femme a peut-être l’habitude de s’envoyer en l’air avec des hommes déjà pris, mais, moi, je suis d’une autre trempe. Je vous souhaite une fin de soirée… spectaculaire.
Elle glisse alors de son siège dans un mouvement ondulant qui m’hypnotise un instant.
L’instant de trop pour anticiper l’arrivée d’un parfum capiteux, d’une voix haut perchée et d’une robe étincelante.
– Timo, amore.
La voix de Fiorella écorche mon oreille. Elle est bien trop aiguë. Je sais parfaitement ce que ça signifie. En dépit des directives données à tous, staff et personnel de la boîte, ma tendre épouse a trop bu. À en croire l’éclat flou de son regard sombre, je dirais qu’elle a aussi absorbé des substances prohibées.
– Putain, Fio, tu es défoncée ?
Malgré moi, je ne peux empêcher l’inquiétude de pointer dans ma voix.
– Non, pas du tout. Un ami m’a donné juste de quoi surmonter mon stress. Tu avais promis d’être là. Tu sais que je suis terrifiée de parler en public, geint-elle.
Je me retiens de lui dire qu’elle aurait dû y penser avant d’organiser cette soirée, ou même avant de monter ce magazine que, de toute évidence, elle va s’avérer incapable de gérer, rallongeant ainsi la liste de ses échecs. Inutile de tirer sur l’ambulance, d’autant que, dans quelques mois, ce ne sera plus mon problème.
Néanmoins, ce soir, ça l’est encore, et je ne peux pas la laisser se ridiculiser. Je fais signe au barman qui m’apporte un verre d’eau.
Fiorella grimace.
– Je préférerais un Cosmo, râle-t-elle.
– Et moi je préférerais que tu ne finisses pas cette soirée ivre morte.
– Ohhhhhhhh !
Voilà autre chose ! La version roucoulante de ma femme qui fait mine de se cacher dans sa queue-de-cheval en me décochant une moue qu’elle imagine craquante.
Là, tout de suite, c’est moi qui suis à deux doigts de craquer.
– Tu vois que tu t’inquiètes encore pour moi ! Allez, viens danser.
Je tente de décliner son offre, mais sa façon de se frotter à moi est si indécente que je préfère encore l’anonymat relatif de la piste de danse, où il sera plus difficile de nous photographier. Mauvaise idée. Pris dans l’étau de tous les corps qui se trémoussent, je me retrouve bien vite collé contre celui, offert, de mon épouse. D’ailleurs, elle prend mes mains pour les plaquer sur ses hanches pendant qu’elle se déhanche langoureusement, frôlant mon bas-ventre avec insistance.
Furieux de m’être laissé piéger dans cette danse que je ne peux abréger sans faire d’esclandre, je ferme les yeux. Allez, encore une heure, le temps qu’elle annonce le lancement de son foutu magazine, et je pourrai m’éclipser.
Ça se confirme, cette notion d’heure est très relative. Autant elle file à toute allure quand je crée, autant, ce soir, elle s’étend à l’infini. Dans un effort surhumain, je fais bonne figure à tout ou presque. Va pour la danse digne d’une lap dance ; passe encore pour les photos mignonnes du couple sulfureux en pleine réconciliation. Mais lorsqu’elle profite des objectifs pour me rouler une pelle d’anthologie, je vois rouge et m’éclipse à la seconde où ses lèvres quittent les miennes. Et encore, je me retiens in extremis d’essuyer ma bouche sur mon bras. Je m’éloigne à grandes enjambées, sans me soucier de ses appels, ni de ceux de Sonia.
C’est finalement le videur de la boîte qui m’intercepte à l’instant où je quitte l’établissement.
– Attendez, votre femme veut vous parler.
J’hésite à passer en force. Je renonce, et pas seulement parce que je n’ai aucune chance face à ce colosse. Inutile de se donner davantage en spectacle.
– Amore, ne pars pas comme ça !
– Non, Fio, les choses sont claires ! D’accord pour paraître à ta soirée, mais rien d’intime entre nous. Ni en public ni en privé !
– C’est stupide ! Ton idée est stupide, Timo ! Et puis, ça va, c’était qu’un baiser ! On n’a pas fini la nuit ensemble, non plus. Enfin, pas encore ! tente-t-elle de négocier.
Elle se rapproche de moi, caressante, une lueur sans équivoque dans le regard.
Je tends les mains devant moi, pour l’arrêter, et tourne les talons.
À peine dehors, je sors mon portable pour passer l’appel que je repousse depuis des jours.
La communication s’établit à la deuxième sonnerie.
– Pronto, lâche d’une voix rauque l’interlocuteur, vaguement ennuyé d’être dérangé au milieu d’une soirée, si j’en crois le bruit parasite.
– Sandro, si ton offre tient toujours, je suis ton homme.
Au cri vengeur qui retentit de l’autre côté de la ligne, j’en déduis que j’ai retenu son attention.
– Tu veux dire que… ?
– Que tu tiens le nouveau directeur artistique de ta maison. Si tu es toujours partant pour monter une marque qui allie la haute couture et le vingt et unième siècle.
– Bien sûr que je suis toujours partant ! Timo, mon pote, on va tout déchirer ! Je te rappelle dans la semaine pour finaliser ça.
Il raccroche. Je roule, songeur, dans les rues de Rome. Ma vie va prendre un nouveau tournant. Je l’ai voulu, mais je ne l’ai pas vraiment prévu. Pas planifié. C’est un pari à prendre. Ça tombe bien, c’est mon mode de fonctionnement. Parier, prier le sort de m’être favorable et me donner les moyens de l’influencer.
Moi, Timo Brennen, du haut de mes 32 ans, je vais prendre seul la direction d’une nouvelle ligne de prêt-à-porter maison, dans le prestigieux groupe Baldi. Mais je vais surtout reconstruire ma vie, et ce n’est pas le moindre des paris.
Et voilà, …. pour la suite, rendez vous à Minuit.
Bisous
Gwen