Essencielle d’Isabelle Fourié
Titre Esencielle
Auteur Isabelle Fourié
Editeur Black ink Editions
Date de sortie 28 avril 2023
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Et si l’exceptionnel devenait la norme? Et si la « normalité », loin d’être prisée, était, au mieux, un motif de discrimination, au pire le prétexte à des maltraitances, voire à la mort?
C’est de cette idée que part la superbe dystopie signée Isabelle Fourié chez Black ink Editions.
Il y a quelques centaines d’années, un accident industriel a engendré des mutations en grand nombre. Il a fallu presque cent ans à ces mutants aux talents extraordinaires pour passer du statut d’anomalies recherchées aux plus hauts postes de l’état. À peine plus pour qu’ils inversent la tendance et asservissent les simples humains.
Depuis, la Terre a changé. Entrée dans une pseudo aire glaciaire, elle est un territoire hostile, peu propice à la survie, à plus forte raison depuis que la guerre du Crystal a ravagé une partie des clans, anéanti celui des Crane et donné du pouvoir aux Stones qui contrôlent le trafic de cette drogue aux effets dévastateurs. Les autres clans, Wolf et Snake en tête, maintiennent un équilire prévaire, axé
sur la survie autant que sur la défense des territoires dont chacun tente de tirer de quoi vivre.
À cet exercice, les Wolf, menés de main de maître par leur jeune chef Kingston, ont une longueur d’avance, en particulier grâce aux travaux de Pearce, son frère et confident aux capacités mentales immenses -même s’il ne s’agit pas là de son don.
Et les « simples humains » me direz-vous? Comment s’en sortent-ils entre les télépathes, les métamorphes, les télékinésistes et autres giftstealers?
On ne va pas enjoliver leur situation, elle est rien moins que catastrophique! Dans la plupart des cas, ils sont réduits en esclavage ou utilisés comme cobayes dans des expériences inhumaines visant notamment à créer de nouveaux mutants aux capacités inégalables ou à comprendre pour quelle raison certains mutants deviennent hyposensibles et perdent peu à peu leurs pouvoirs.
Dans ce monde aux milles périls, Mayra, jeune humaine sans dons, cherche à survivre. Réfugiée chez les Snake, protégée par son frère Marton, elle fait passer son incroyable normalité sous des subterfuges qui lui permettent de se cacher et de se protéger.
Du moins jusqu’à ce que suite à un coup de hasard, elle croise la route des frères Wolf. La réaction est instantanée. L’un tombe aussitôt sous le charme, l’autre est déstabilisé par son incapacité à exercer sur elle ses pouvoirs télépathiques. Tous deux, veulent, pour des raisons qui leur sont propres, la ramener dans leur camp.
C’est compter sans l’avidité des Stones qui voient, eux aussi, en la jeune Essencielle, une énigme, un challenge, une anomalie à asservir avant de la détruire. À moins qu’elle n’ait une autre utilité.
Je vais arrêter là mon résumé pour ne pas trop vous en dévoiler.
J’ai été séduite par l’histoire concoctée par Isabelle Fourié.
Dans un premier temps, j’ai aimé l’univers qu’elle a mis en place. Les premiers chapitres décrivent succinctement les différents clans et les événements nécessaires à comprendre l’intrigue. En les lisant, j’ai eu un peu peur d’être perdue. Aucun risque tant la narration est précise et bien menée.
Le cadre qu’elle a créé est hostile, par les éléments, par ses peuples, par leur ambition et leur folie, par leur très grande droiture aussi parfois, ou par leur volonté de garder le pouvoir. La nature inhospitalière, à laquelle les pauvres humains, moins résistants, n’ont aucune chance de survivre, est une bonne métaphore de ce qui attend ceux qui n’ont pu s’adapter aux mutations.
Ce monde n’est pas tendre. Il n’est pas non plus pour les tendres. Ici les sentiments autres que la rage, le calcul, la sauvagerie, sont des signes de faiblesse. Et malheur aux faibles!
C’est ce qu’incarnent Talia et Kingston Wolf, la mère et le fils prêts à tout pour la survie de leur clan. À leurs côtés, Pearce, plus jeune, se laisse davantage guider par ses émotions. Il en serait presque plus humain, une sorte de passerelle entre les uns et les autres.
Pour autant, Essencielle n’est pas qu’un roman d’individualités et de solitudes. C’est aussi une histoire de solidarités très fortes. King sait pouvoir compter sur ses amis, notamment Kris, comme sur des frères d’armes, prêts à mourir les uns pour les autres. Quant à Mayra, elle a trouvé au plus gros de l’horreur, l’amitié de Lou, Blacky et Max qui lui permettent de faire un pas de plus, même lorsqu’il semble être le pas de trop.
En milieu hostile, c’est seul qu’on tire son épingle du jeu. C’est ensemble qu’on avance.
Ensuite, j’ai aimé les valeurs défendues dans ce roman. L’intérêt du groupe, la raison avant la passion, un certain sens du sacrifice, quoi qu’il en coûte, sont des principes qui guident l’action des héros et donnent un sens à toute leur vie et leur engagement. Et lorsque King se voit obligé de mentir pour couvrir son petit frère, on sent qu’il lui en coûte.
En effet, de par les choix narratifs de l’auteure, Essencielle est aussi un roman de dilemmes.
On pourrait, parfois, en trouver les héros hésitants, peu sûrs d’eux. Ils sont au centre de décisions qui ont tant de ramifications, qui impliquent tant de personnes en plus d’eux, qu’on le serait à moins. Baisser la garde? et condamner ceux qu’on aime. Lâcher prise? et laisser entre de mauvaises mains des réalités indispensables. Respecter la parole donnée? Et tomber dans un piège. Être toujours droit, incorruptible? Et condamner ses plus proches. Tomber amoureux? et perdre la lucidité indispensable pour protéger tout son peuple.
On serait soumis aux doutes pour moins que ça! Et nos personnages, s’ils peuvent se montrer impulsifs, ont toujours à l’esprit ces impératifs plus puissants les uns que les autres.
J’ai d’ailleurs beaucoup aimé les personnages. De la tendresse pour Pearce, qu’on aimerait avoir comme frère, comme confident, comme ami -surtout face à une interro de sciences. De l’admiration pour Mayra qui compense ce qui semble lui manquer par une force de caractère, une détermination et un tempérament qui forcent l’admiration. Des sentiments multiples pour King. Il est beau … argh qu’il est beau. Sexy … uhhhh j’ai la recette pour faire fondre la banquise! Têtu, exigeant avec les autres et avec lui-même pour commencer, déterminé, parfois cassant, surtout lorsqu’il se sent en position de faiblesse, dévoué à son clan, loyal -peut-être trop. Il s’oublie trop souvent au profit des autres et peut être une vraie tête à claque lorsqu’il commence à trop réfléchir à ses priorités. Mais il est tellement obsédé par la sécurité des siens qu’on lui pardonne … surtout qu’il est vraiment vraiment à croquer!
Ça tombe bien parce qu’Essencielle, en plus d’une ode à la tolérance et à la solidarité, est aussi une romance passionnée, qui tient toutes les promesses de sa lente montée en puissance et récompense le lecteur de sa patience! L’histoire compte autant d’embûches qu’elle pourrait en trouver. Elles sont cohérentes, utiles au récit, mettent les nerfs des lecteurs à rude épreuve -à se demander s’il ne s’agit pas d’un test sur lectrice enamourée. Mais la romance est là, fragile, vivace, menacée, dévorante.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai dévoré ce roman, conquise par l’univers et la richesse de l’histoire concoctée par Isabelle Fourié. Dans l’attente de notre prochaine rencontre, au moins par le biais des livres!