Une sorcière à la cour de Philippe Madral

Titre Une sorcière à la cour

Auteur Philippe Madral

Éditeur JCLattès

Date de sortie 9 Octobre 2019

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Un titre découvert grâce à Netgalley et à l’éditeur.

Pour les amateurs d’histoire, en particulier du siècle de Louis XIV, l’affaire des poisons est un incontournable. Il m’en restait quelques souvenirs un peu poussiéreux. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de lire ce roman.

Autant le dire tout de suite, je ne le regrette pas un instant.

Le siècle de Louis XIV n’est pourtant pas forcément ma période historique favorite. Le roi soleil n’est même pas dans mon top 3 des rois préférés. Pourtant, j’admire son oeuvre pour la France, le théâtre grandeur nature qu’il a créé à Versailles (encore dans sa phase ascendante au moment de l’histoire, ce qui provoque de fréquents déplacements entre les demeures royales).

J’aime aussi le jeu de pouvoir entre ses ministres, la lutte incessante entre Louvois et Colbert. Et que dire des jeux de cour entre les maîtresses royales, des roueries pour entrer ou rester en grâce? Il y a là un jeu de dupes permanent qui fait passer les feux de l’amour pour une vague cour de récréation. Mais quand la finesse de l’auteur y ajoute une réflexion de fond sur la place de la femme et ses possibilités d’exister, sur des débats en avance sur leur temps, comme la question de la torture et des privilèges sociaux, on passe un cran au-dessus dans l’intensité de la lecture.

Dans une écriture particulièrement riche et soignée, l’auteur, que je découvre, nous entraîne dans l’une des plus grandes enquêtes policières de l’histoire de France, sinon en nombre, du moins en retentissement auprès du roi Soleil (un soleil dont on commence à sentir le premier pâlissement) et en révélations sur les intrigues de cour.

Et pour entrer en plein coeur de cette page d’histoire, qui de mieux placé que le principal artisan de l’enquête?

J’ai été surprise de découvrir un roman narré à la première personne, ce qui m’a mise au plus près des événements.

Est-ce pour cette raison que je me suis plongée dans ce roman avec autant d’intérêt?

Je ne sais pas. Mais ce roman m’a parlé à plusieurs niveaux.

Le premier, évidemment, est le côté historique. L’auteur présente en fin d’ouvrage une bibliographie non négligeable qui se retrouve très largement dans la narration, qu’il s’agisse des éléments de l’enquête, de la vie de cour ou même des éléments plus concerts de la vie quotidienne.

J’ai, de la même façon, été sensible aux personnages. En donnant la parole à Le Reynie et à ses contemporains, on ressent mieux l’animosité entre les deux grands ministres que furent Louvois et Colbert. Le déception de père et de roi entre Louis XIV et le Dauphin est plus sensible. Le charisme et l’emprise par lesquelles la Montespan a su s’imposer et se maintenir sont aussi visibles que ses manoeuvres.

Il y a aussi un parti pris certain dans les mots du narrateur. Louvois et Mme de Maintenon en sont pour leurs frais. Et cette animosité sensible rend le personnage nettement plus humain.

En effet, c’est un autre point fort de ce roman. La personnalité du Lieutenant Général de Police Nicolas de la Reynie. Je me souvenais, outre son rôle dans cette affaire des poisons, mais aussi de son rôle dans l’assainissement de Paris et dans la destruction de la Cour des Miracles. J’en gardais l’image d’un homme froid et inflexible.

Il l’est, indéniablement. Mais il est aussi bien plus. C’est un homme d’une droiture totale. Il est entièrement dévoué à sa charge, qu’il fait passer avant son bien-être, avant sa sûreté ou celle des siens. Cette rectitude le rend vulnérable face aux réalités qui lui échappent. Une arrestation contrariée par une information glissée à l’oreille, un suspect libéré pour complaire à tel Grand, un nom rayé d’un procès verbal et La Reynie se sent, à juste titre, désavoué. Il cumule d’ailleurs le nombre de démissions présentées et refusées avec une belle persévérance.

Mais cet inflexible n’est pas que le serviteur aveugle de la loi. J’ai été touché par ce que ses réflexions lui font admettre. Il est moderne quant à sa position sur la « Question » qu’il rechigne à faire appliquer contrairement aux moeurs de l’époque. Il est sensible à la place des femmes, au contact de Gabrielle, son épouse au tempérament bien plus marqué que ce que l’on attendait à l’époque.

Sans cautionner les solutions criminelles auxquelles sont réduites certaines femmes, il est conscient d’une marge de manoeuvre presque inexistante pour toutes, même les dames du plus haut rang.

Évidemment, si les noms de Mlle des Oeillets et de Mme de Montespan n’apparaissent pas dans les procédures, c’est du fait de leur naissance et de leur lien avec le roi. Mais ces liens eux-mêmes ne sont pas immuables. Les faveurs du roi se méritent, se travaillent et risquent de se perdre. Et avec elles, c’est toute sa fortune qui se retrouve en péril.

Le piège de Versailles, c’est qu’en être exilé, et donc quitter l’orbite du soleil, c’est déjà une mort sociale en soi, presque aussi efficace qu’un embastillement.

Un autre élément qui a retenu mon attention réside dans la peinture d’une société et de son époque. Je l’ai dit, j’ai aimé regarder par le petit bout de la lorgnette la scène permanente qu’est Versailles. J’ai été touchée des quelques instants où le roi, sous les mots de l’auteur, s’autorise à poser le masque pour devenir un simple mortel. Je ne suis pas certaine que ce soit un fait avéré. Mais il s’inscrit joliment dans une affaire d’hommes tout autant que de roi. La réaction de La Reynie face à sa femme fait un bel écho à celle que le roi peut, ou non, s’autoriser.

Parce que finalement, plus encore que sa couronne ou son symbole, c’est aussi sa personne privée que Louis XIV voit menacée, dans ce qu’elle a de plus cher, sa sphère personnelle et la confiance que chacun est en droit d’y trouver.

Mais ce roman, malgré ses traits de modernité, est aussi un récit de son temps, quoique. Les réactions de la Filastre, une des accusées de la Chambre ardente, lorsqu’elle comprend que certains noms vont échapper à la procédure, ne manque de renvoyer aux vers de la Fontaine « selon que vous serez puissant ou misérable ». Lors de ma lecture, je me suis récriée de l’archaïsme de cette procédure, que j’ai désapprouvé à la mesure de la Reynie, avant de sourire de ma naïveté.

Et de me demander si, finalement, ce qu’il y a de plus moderne dans ce récit, sa capacité à se transposer dans d’autres temps, d’autres contextes et d’en être, finalement, toujours actuel.

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