L’Evangile selon Pilate d’Eric Emmanuel Schmitt

Titre l’Evangile selon Pilate

Auteur Eric Emmanuel Schmitt

Editeur Albin Michel

Date de sortie (version Audible) 30 mai 2023

Un titre à retrouver ici https://amzn.to/3T3vUhf

Que l’on soit croyant ou non, on connaît tous, de près ou de loin, les derniers jours du Christ, de sa dénonciation par Yahuda à sa crucifixion, sa mise au tombeau et la disparition du corps, trois jours plus tard.

Ça, c’est le récit traditionnel. Mais qui était l’homme sur la croix, Yechouah, magicien, prophète ou fils de Dieu? Que se passe-t-il avant, et surtout après, ces événements miraculeux pour certains, mystérieux pour d’autres, suspicieux pour les derniers ?

Ce sont ces questions auxquelles Eric-Emmanuel Schmitt apporte des réponses dans ce roman que j’ai eu la chance de découvrir dans un formidable format audio.

Penchons nous d’abord sur l’histoire, en deux parties.

La première est vue du regard de Yechouah (servi par la voix toujours aussi remarquable de Slimane Yefsah). J’ai été très sensible à la façon dont l’auteur lui donne vie. Loin de l’évidence biblique, on croise là un homme plein d’humanité et des doutes qui l’accompagnent. Fils, frère, fiancé, il est charpentier par erreur, presque rabbi par coup du sort, presque marié mais totalement à l’écoute de son prochain.

Fils de Dieu ? Il ne se pose pas la question en ces termes. Il aime d’abord les autres, cherche à leur venir en aide, n’accepte aucun dogme sans le réfléchir, aucune condamnation aveugle sans chercher à voir d’abord l’humain derrière chacun, chaque acte, chaque décision.

Sa démarche est souvent incomprise, même de ses proches. Pourtant, il persiste dans sa voie, parce que c’est la seule qui lui paraisse légitime.

Il doit peu à peu se rendre à l’évidence. Dans sa relation aux autres, dans ce qu’il est capable de réaliser, il y a des choses qui relèvent de l’inexplicable, du miracle. Des éléments qui poussent l’homme simple à admettre qu’il n’est pas comme les autres, qu’il est celui que les prophètes annoncent. Ce n’est pas un constat simple. Trop souvent, il se voit réduit au rôle de “faiseur de miracles” et il souffre que son message passe après ces éléments visibles.

Il a tellement plus à dire, à faire, à enseigner. Peu importent les oppositions, même celles de ses proches. Il a une mission dont il est pleinement conscient, tout comme il connaît les sacrifices qu’elle va exiger de lui.

En écoutant cette première partie, j’ai parfois pensé à la dernière tentation du Christ de Martin Scorcese. Les deux œuvres sont très différentes, mais elles se rejoignent par leur façon de traiter le personnage comme un homme plus que comme l’héritier divin.

Un homme qui vit, ressent, souffre et meurt.

Changement d’ambiance dans la deuxième partie, narrée par Bernard Gabay que j’ai retrouvé avec plaisir après le maître du Haut château chroniqué dernièrement.

Pilate, gouverneur de Judée, est confronté à un problème d’ordre politique: la disparition du corps du Magicien qu’il a dû condamner à mort au nom de l’équilibre avec les autorités locales. Au travers des lettres écrites à son frère, Pilate décrit à la fois son enquête mais également les révélations troublantes et ses propres doutes. On assiste aussi aux coulisses de la condamnation et du procès.

Évidemment, je ne vous dirai pas qui sont les suspects, quelles sont les pistes suivies, pas plus que les conclusions de cette enquête hors norme.

Par contre, je vous expliquerai volontiers les raisons pour lesquelles j’ai été fascinée par ce livre.

Dans un premier temps, j’ai beaucoup aimé l’idée de départ de ce roman. De la même façon que la démarche qui a guidé La Part de l’autre (ouvrage écrit après cet Evangile, mais que j’ai lu avant) m’a séduite par son originalité, j’ai été impressionnée par l’idée de départ de ce roman. Relater l’une des histoires les plus connues du monde, un récit dont il existe finalement peu de traces en dehors des sources religieuses et l’aborder sous un axe que je n’avais jamais rencontré, c’est un sacré défi et il a, à mon sens, été relevé haut la main.

J’ai été totalement prise par la narration. Du fait de ma culture, le roman, en particulier dans sa première partie, évoque des épisodes qui me sont connus. J’ai pourtant apprécié la lecture qu’en propose l’auteur, la place qu’il donne au caractère, à la bonté de Yechouah. J’ai aimé la réflexion sur le lien entre cet homme hors norme et pourtant si ordinaire. Plus qu’une question de croyance, c’est sa bonté, son écoute, son empathie qui en font un personnage à part. C’est sa volonté d’aider les autres, d’apaiser leurs souffrances, qui le rendent si aimables. C’est son refus de verser dans les conspirations et les vils calculs qui en font une cible pour d’éminents religieux aux visées bien moins vertueuses.

Certains passages, eux, relèvent de l’imagination ou plutôt de suppositions de l’auteur. Ils donnent au personnage une humanité émouvante, une « normalité » qui rend l’ensemble de ses accomplissements plus extraordinaires encore.

Quelques personnages sont très différents de leur « réputation » officielle. J’ai aimé la proposition qui a été faite par l’auteur. Elle donne non seulement l’impression de redécouvrir l’histoire, mais elle l’éclaire d’un autre jour. Certains y verront peut-être une hérésie. J’ai préféré y voir une autre vue de l’histoire et je l’ai trouvée très émouvante.

Ensuite, j’ai été séduite par l’enjeu de la deuxième partie et cette quête insoluble pour Pilate. Par-delà l’enquête en soi -qui est très bien menée et qui, par le biais épistolaire, fait alterner l’optimisme et la déception- j’ai aussi apprécié la quête intérieure et spirituelle du magistrat romain.

Il n’est pas question que d’ordre. On parle aussi spiritualité, philosophie et questionnement intérieur. Ce sont des éléments riches qui font de ce roman une histoire qui marque. J’en ai parlé, beaucoup, autour de moi. J’y ai repensé, souvent, après en avoir écouté les dernières phrases.

Il m’a fallu du temps pour mettre de l’ordre dans les sentiments et les réflexions qu’il m’a inspirés. Je ne parviens, ici, à en traduire qu’une partie. J’ai trouvé cette histoire pleine d’espoir, malgré la tristesse que l’on peut ressentir par moment. L’évolution de Pilate et de certains des protagonistes de ce roman montrent la richesse du cœur humain dès le moment où il accepte de se livrer et de dépasser ses certitudes.

Dernier élément qui contribue à mon coup de cœur et qui, je l’avoue a grandement guidé mon choix pour ce roman, sa version audio. Rendons à César ce qui est à César -oui, c’est dans le contexte- c’est sur le conseil du groupe des Papotes livresque de l’audio que j’ai découvert ce titre. Je suis encore assez novice en écoute, mais je pense qu’il faudra un moment avant que je retrouve un équivalent à cette lecture. J’ai déjà évoqué les deux narrateurs principaux, Slimane Yefsah pour la première partie, Bernard Gabay pour la seconde. J’ai déjà eu l’occasion de me laisser emporter par leur voix et leur talent de narrateur et d’interprète. Il ne se dément pas ici, loin de là. Mais ils sont épaulés par une véritable troupe d’acteurs de talent qui leur donnent la réplique dans une sorte de pièce audio, servie par une ambiance sonore qui favorise l’immersion. Il ne reste plus qu’à fermer les yeux pour rejoindre les rives de la Judée ; plus qu’à ouvrir son esprit pour redécouvrir cette formidable histoire tenant de la mythologie autant que de la foi. Plus qu’à ouvrir son cœur pour découvrir toutes les richesses de Yehouda, tous les apprentissages de Pilate, tout ce qui peut nourrir notre cœur.

 

 

 

 

 

 

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