Campus Enemies de Sonia Eska

Titre : Campus enemies Plaisirs coupables

Auteur Sonia Eska

Éditeur Éditions Addictives

Date de sortie 28 mars 2022

Un titre à commander ici Campus enemies

Il y a un an, au mois de décembre, alors que tout le monde se préparait aux fêtes de fin d’année et aux vacances du même nom, la bourgade tranquille de Fayetteville, Arkansas, a vécu son 11 Septembre lorsqu’un étudiant, Joaquin Matlin a semé la mort sur son passage.

Deux agents de sécurité, un professeur et dix étudiants ont péri sous ses balles avant qu’il ne retourne l’arme contre lui-même.

De ce drame, il a laissé sept rescapés, les Sept, un groupe soudé dans son drame et sa reconstruction, les enfants chéris de Fayetteville, ceux qu’on couve, qu’on protège, ceux à qui on passe pas mal de choses.

Ils sont 7, aussi dissemblables que possibles. Troy l’impulsif, Scott le fédérateur , Corey le tempéré en couple avec Taylor au grain de folie aussi rafraîchissant que ses insultes d’un autre âge, Priya, la cmbattive, Brianne l’hypersensible et Isée Alcott l’héroïne de cette romance vibrante.

Elle était rêveuse, elle est devenue plus raisonnée. Des Sept, elle est sans doute celle qui a vu la mort du plus près, canon à front, avant de voir tomber la dernière victime et le tueur lui-même. Entourée par la bienveillance de ses deux papas, agents immobiliers, par l’amour de sa famille, l’attention de son cousin Harlan, un frère de cœur adorable et soutenue par son thérapeute et le conseiller du lycée, Isée tente de se reconstruire, à grand renfort de stratagèmes de contrôle et du cocon des Sept.

Un an plus tard, tout le cadre bien établi de cette difficile convalescence éclate lors de la commémoration du drame, à l’instant précis où Knox Matlin -le frère du tristement Joaquim- réapparaît en ville. Il est là pour vendre la maison familiale et permettre à sa mère de repartir d’un bon pied.

Mais si, par son sourire provocateur, son regard froid et sa simple présence, il peut gêner la routine de ceux qui ont laissé son frère basculer ou même l’y ont poussé, il ne va pas s’en priver, loin de là, en commençant par s’inscrire à la fac où son frère a perpétré le carnage, en continuant par travailler là où une partie des Sept gagne son argent de poche, le Grady’s, un authentique diner tenu par le bienveillant Grady.

Faire le maximum de bazar avant de disparaître et de retourner à Stillwater où ses amis Dixon, Lee et Javier l’attendent, c’était un plan acceptable, du moins jusqu’à ce qu’il tombe sur Elle.

Isée, son regard acerbe, sa difficulté à respirer en sa présence, ses courbes, ses réparties, son mépris, sa douleur, sa sexytude, ses angoisses, sa haine, sa résolution à le voir partir … et tout ce qui capture son corps dans des filets de désir inextricables.

Elle est son impossible. Mais il ne veut personne d’autre. Le choisir, est-ce trahir ou guérir ?

Une fois ces bases posées, je voudrais vous expliquer les raisons pour lesquelles j’ai autant aimé ce livre.

Le thème en est le premier. Lorsque j’ai lu le résumé du livre, j’ai été intriguée par la prise de risque de l’auteur et par sa prise de position profondément humaine en rappelant qu’il y a toujours deux faces à une histoire.

Ayant déjà été remuée par ma précédente lecture de Sonia Eska (voir ici pour une chronique sans spoil https://melimelodegwen.fr/the-intense-deal-de-sonia-eska/ ), je n’avais pas de doutes quant à sa capacité de manier les émotions fortes sans verser dans un racolage morbide. La mission est plus que remplie.

Dès la lecture d’un prologue à l’intensité folle, le doute n’est pas permis. On n’embarque pas dans une romance gentillette. Pour autant, ce roman n’est pas une dark, mais une romance qui aborde, avec brio, des thèmes lourds et sombres.

J’ai aimé retrouver ici les traits que j’avais tant aimés dans the Intense deal. Les parents d’Isée parlent à mon cœur de maman. On les devine inquiets, tentés, peut-être, d’enfermer Isée pour être sûrs que personne ne la blesse, pour prendre les décisions qui seraient les leurs. Ils lui laissent, au contraire, une latitude qui parle de confiance totale et restent à proximité pour être ses meilleurs soutiens. Ce tableau est d’autant plus important qu’il se confronte à Dolorès Matlin, un personnage pour lequel j’ai ressenti beaucoup d’empathie, mais une mère qui, par la force des choses, inverse les rôles.

Autre trait que j’avais déjà aimé dans ma lecture précédente, les dialogues piquants et savoureux et l’opposition des caractères entre Isée et Knox. Fans de déclarations guimauves et enamourées, passez votre chemin. Ici, l’attraction est affaire de confrontation et Sonia Eska en rend parfaitement l’intensité.

L’originalité de ce roman vient de son thème, je l’ai dit, mais aussi du point de vue choisi par l’autrice. On a souvent tendance -et c’est bien naturel- à voir les victimes dans le cadre de ce genre de tueries. On en vient à les idéaliser, à leur trouver toutes les qualités. On ne s’attarde que rarement sur les bourreaux, encore moins pour les « comprendre » ou imaginer les événements de l’autre côté de la barrière. Dolorès ressent la culpabilité pour les victimes de son fils, pour ne pas avoir vu sa dérive, mais elle pleure, elle, le 14° mort, sans qu’on lui en donne le droit. Or Joaquim était aussi un fils, un frère, pour une famille qui ne peut s’autoriser le deuil.

De plus, de la culpabilité de ne pas avoir vu se dessiner l’obscur dessein découle aussi la recherche d’une cause, d’une explication. Elle n’épargne pas forcément les morts comme les vivants.

Dans cet axe, j’ai beaucoup aimé le travail mené sur l’esprit de Knox. Il n’accorde que très peu de pensées aux victimes. Lui, il est du côté de son frère. Encore et toujours. Non pas qu’il justifie son acte. Mais il a besoin de comprendre ce qui l’y a poussé et cette nécessité, mis à part d’éventuels problèmes psychologiques, exige aussi qu’il y ait des « responsables » d’où sa posture face à la communauté de Fayetteville, qui lui refuse le deuil, qui le condamne, ainsi que sa mère à une peine supplémentaire.

Dans cette optique, j’ai trouvée très forte la vision des Sept. Comme tout un chacun, dans les premières pages, c’est la compassion qui l’a emportée. Mais au fut et à mesure du récit, je n’ai pu m’empêcher de ressentir une pointe de gêne. L’extrême tolérance dont ils bénéficient et dont certains abusent (après tout, ils peuvent bien prendre telle ou telle liberté, car ils sont les Sept) m’a semblé déplacée. Le hasard, la chance, le karma, leur ont laissé la chance de mener leur vie, ce à quoi leurs camarades n’ont pas eu droit, j’aurais attendu d’eux qu’ils vivent deux fois plus intensément, qu’ils se sentent peut-être coupables, voire investis d’une « mission » supérieure, pas forcément qu’ils adoptent, pour certains, par moments, des comportements à la limite du capricieux.

Ce refus d’un angélisme simpliste est une excellente idée. Avant d’être les Sept, ils sont avant tout des jeunes adultes, différents, pas des anges ni des démons, juste des personnes avec leurs failles et leurs qualités. La situation particulière les a rendus indissociables les uns des autres. Pourtant, ils sont sept, avec leur caractère propre, leurs forces et leurs mesquineries.

Cette opposition est particulièrement sensible par rapport à Knox. Aucun d’entre eux ne le veut comme ami, cela peut s’entendre. Harlan lui-même ne renoue avec lui qu’en souvenir de leur passé. Tous aimeraient le voir repartir, car il est la piqure constante, urticante et brûlante, de ce jour-là. Mais les avis et les modes opératoires divergent. J’avoue avoir été mal à l’aise de la posture du plus grand nombre -et pas seulement parce que Sonia Eska en a fait un homme à la fois irritant, agaçant, détestable parfois mais ô combien attachant et d’une indécente sexytude !

Non, vraiment ceci n’est qu’un aspect de la question. Plus largement -et là aussi, c’est très bien mené- j’ai été mal à l’aise que des victimes puissent si facilement basculer du côté des bourreaux.

J’ai aussi été perturbée – au sens positif du terme, là encore- par leur refus de se dissocier et quelque part, d’avancer.

Bien sûr, leur situation exceptionnelle, que fort peu de personnes peuvent comprendre, les a incités à se replier sur eux-mêmes. Leurs doutes, leurs craintes, leurs espoirs ne sont pas compréhensibles de tous. Pour autant, y a-t-il une date de péremption à ce lien particulier ? Une marge de manœuvre à l’intérieur du groupe ? La possibilité d’évoluer différemment des autres ?

La position particulière d’Isée illustre toute cette difficulté. Tout au long de l’histoire, on la sent tiraillée. Évidemment, la personnalité de celui qui fait bouillir son corps, attise son tempérament et la sort de sa zone d’inconfort n’est pas de nature à pouvoir être confiée facilement. Elle-même culpabilise longuement de le vouloir, lui ? Comment attendre des autres, de ceux qui n’ont pas toutes les raisons de s’y attacher, qu’ils la comprennent ?

Mais plus largement, et certaines des discussions avec le Docteur Higgins vont en ce sens, ce roman pose la question de la façon dont on réagit après un drame et celle du chemin qu’on parvient à faire après. Évoluer, avancer, ne pas rester focalisée sur le passé, est-ce trahir ? Question hautement philosophique. Vous avez quatre heures !

Ce qui fait aussi la force de ce roman, ce sont ses personnages, en particulier Harlan, solide, rassurant, pondéré, un jeune homme que j’aime particulièrement.

J’ai déjà évoqué l’aspect hautement inflammable de Knox. Il est un parfait héros de romances, qu’on déteste par moments mais qu’on aime détester, qu’on a envie de sauver et de protéger à d’autres. Et je ne parle même pas de l’état dans lequel il met les hormones !

Le roman prend le parti pris d’un slowburn où l’intensité sexuelle monte crescendo, souvent contrariée, avant d’exploser dans une frénésie de fausses excuses et la certitude d’une relation illusoire. Le rendu en est intense et empreint de la frénésie des instants volés au destin.

Isée n’est pas en reste. Sa fragilité est un crève-cœur, sa résilience un modèle. J’ai été touchée par tout le conflit moral qui l’agite et j’ai fondu pour les moments où son tempérament explose et montre la sacrée femme qu’elle pourra devenir.

Une femme à la hauteur de la deuxième chance que le destin lui a accordée, une héroïne parfaite pour une romance particulièrement réussie !

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