Socrate’s Shadow de Haley Riles

Titre Socrate’s Shadow

Auteur Haley Riles

Éditeur Black Ink Editions

Date de sortie 14 décembre 2020

Un titre à commander ici Socrate’s shadow

Bienvenue au mariage de Kaya et Allan.

Ah, je vous vois de là, les mariages, jolies robes et demoiselles d’honneur endimanchées, témoins au discours subtil, mariée réservée et rougissante sur son petit nuage et voyage de noces fait d’amour -beaucoup- et d’eau fraîche -ou de malt 10 ans d’âge, à vous de voir!

Si vous pensiez trouver ce joli cocktail dans le roman d’Haley Riles, un scoop, n’allez pas plus loin!

En effet, elle nous propose une mariée, un mariage et plus largement une romance qui sortent des sentiers battus. Mais reprenons plutôt.

Kaya Archambault et Allan Tremblay sont amoureux depuis 5 ans. Tous les deux avocats, brillants et ambitieux, ils s’apprêtent à célébrer leur mariage à Montréal où ils habitent et travaillent.

Kaya est entourée de ses meilleures amies, Farah et Siham. La première est avocate, comme elle, n’a pas la langue dans sa poche, comme elle, un petit côté garce ou peste selon les heures, comme elle, et elle répond toujours présent. Ensemble, elles ont fait les 400 coups, parfois modérées par Siham, styliste de talent.

Du côté d’Allan, quelques amis dont le mystérieux Socrate, propriétaire d’un hôtel au Panama et témoin du marié.

Sauf que Socrate dépare dans ce décor qu’il a fui depuis dix ans. Sauf que Socrate est presque sorti de la vie d’Allan, au point de ne pas connaître la femme de sa vie. Sauf que Socrate est tout sauf un convive facile à gérer.

Mais il possède un hôtel au Panama, décor de rêve pour lune de miel.

La lune de miel, je rappelle, ce moment où les amoureux sont seuls au monde… Quoique…

Quand l’un des amoureux fait ménage à trois avec son portable, son Pc et son bureau, c’est là que le bât blesse. Quand l’autre maillon du binôme se sent délaissée à peine la pièce montée digérée et se demande si ce mariage est l’apothéose ou le crépuscule de son couple, ça jette une sacrée ombre au tableau …

Quand le doute s’installe … on entre de plain-pied dans l’intrigue de ce roman.

Évidemment j’arrête là mes confidences sur l’histoire pour vous livrer mon ressenti.

J’ai aimé. Beaucoup. C’est même plus que ça. J’ai ressenti cette lecture avec intensité.

J’ai été en apnée souvent, j’ai été crispée à la même fréquence. J’ai vibré, tremblé, espéré, inspiré lentement pour emmagasiner le maximum de sensations et expiré de la même façon lorsque la pression se relâchait.

Pourquoi?

Tout d’abord pour l’histoire telle qu’elle est posée avec, parmi les différents thèmes abordés, un qui parle à tous, le couple et sa solidité. Allan et Kaya pensent que le mariage est l’accomplissement de leur amour, du « toi et moi pour toujours », de l’engagement à vie. Pourtant, c’est peut-être là que le plus dur commence. Une fois les lumières de la fête éteintes, commence le quotidien. Et tout se joue à partir de ce moment.

Prendre soin de l’autre, être attentif à ses besoins et ses envies, ménager du temps pour soi et pour le couple, suivre les mêmes aspirations ou du moins soutenir les rêves de l’autre. C’est là l’une des clefs du succès.

Au départ, j’ai été très sévère avec Allan, davantage marié à son travail qu’à Kaya. Pourtant, il n’a pas tous les torts. Oui, il est ambitieux, mais dans son esprit, il le répète plusieurs fois, il se démène pour eux, pour leur offrir un niveau de vie satisfaisant et assurer l’avenir de leur future famille. Il n’y a rien de déshonorant à ça et cette course à la réussite est le lot du plus grand nombre.

Alors tous les torts seraient sur Kaya? Pas nécessairement. Elle aussi aime son travail et s’y investit. Elle ne refuse pas qu’Allan s’y démène.

Par contre, ce sont les zones opaques qu’elle exècre et la sensation de « tromperie sur la marchandise ». Cinq ans, c’est une belle durée pour un couple. On commence à bien se connaître, établir sa famille n’a rien de précipité.

Et rien n’est inconsidéré dans ce choix. Kaya s’engage sincèrement auprès d’Allan et le soutient à plusieurs reprises. Après une jeunesse un peu chaotique, si elle se marie, c’est pour la vie, pour lui et aucun autre. En tout cas, c’est le projet avant qu’Haley Riles ne décide de la torturer.

J’ai particulièrement aimé ce personnage de Kaya.  Tout d’abord parce qu’on est loin de l’oie blanche, de la princesse de conte de fées. Kaya n’est pas une petite chose fragile, malléable et pleine de compassion. Elle peut se révéler peste, rendre coup pour coup. Elle a un sacré tempérament, que ce soit lorsqu’elle se confronte à Allan ou quand elle envoie Socrate sur les roses. Elle a même parfois un côté « badass » notamment quand elle sort le grand jeu avec Farah et Siham dans des soirées où les shots et les confidences sans filtre s’enchaînent.

Mais dans le même temps, elle a aussi des failles et des fragilités qu’elle a appris à préserver derrière une solide carapace. J’ai aimé les voir ressortir, tout comme j’ai beaucoup apprécié -pur sadisme de lectrice- de la voir totalement perdue entre tous les éléments qui composent sa vie.

Par-delà tous ces aspects, ce qui m’a surtout touchée, c’est la capacité de Kaya à voir les gens. À voir derrière les apparences et les cuirasses, peut-être parce qu’elle-même se cache derrière depuis des années. Dans ce domaine, il faut dire qu’elle a un sacré client face à elle.

Et quel client! Socrate Duhamel, qui donne son nom au roman, est un personnage qu’on a envie de chérir autant que détester. Il est arrogant, asocial, refuse de laisser quiconque s’approcher de trop près.

Son meilleur ami, c’est sa bouteille de pur malt dix ans d’âge. À moins que ce ne soit Allan, auquel il est indéfectiblement uni, par un lien à la fois si proche et si lointain.

Proche parce que, sans que l’on sache bien pourquoi, il y a entre eux une solidarité et une affection énormes. Éloignés car Socrate ne revient presque jamais à Montréal. Il y ressasse trop de mauvais souvenirs et vu toutes les ombres qui le hantent, pas la peine d’en rajouter une couche. En effet, même si les fantômes le poursuivent jusqu’à Bocas del Toro, c’est là-bas seulement qu’il parvient  les garder à distance, parfois, entre un travail acharné, quelques coups d’un soir et des instants de grâce dans un lieu des plus insolites.

Ils sont d’autant plus précieux qu’au quotidien, Socrate, dont on suit souvent les pensées, n’a rien d’un philosophe. Il aurait même tendance à se comporter comme un connard, un vrai de vrai. En tout cas, c’est ainsi que le ressent Kaya dès leur première rencontre. Il ne croit pas au mariage, n’a qu’un respect modéré pour les femmes, quoi que Kaya sache stimuler son esprit provocateur et lui donne envie de se montrer parfois presque humain.

Il n’y a que derrière son objectif que le jeune homme parvient à supporter son mal-être. On peut aisément le comprendre.

Nous avons tous des failles qui caractérisent l’individu que nous sommes au quotidien.

Grâce à ma passion, j’ai appris à repérer celles des autres, et moi à masquer les miennes.

Le reste du temps, Socrate peine à se comporter en être civilisé. Pourtant, lorsqu’il se décide à lever le voile, c’est un être des plus attachants qu’Haley Riles a créé. J’avoue qu’il est un grand coup de cœur, et pas seulement à cause de son regard vert à faire fondre tous les cœurs, voire plus si affinités.

Et c’est bien là l’une des forces de ce roman. À plusieurs reprises, j’ai été tentée d’adopter un raisonnement simpliste en cherchant un « coupable » à l’intrigue qui se développe entre les personnages.

Mais le talent de l’autrice, c’est justement de ne pas avoir versé dans la simplicité. Outre la façon de lever des voiles pudiques sur le passé des principaux personnages et de permettre aux lecteurs de comprendre, par étapes, les subtilités de l’histoire, elle a agi de même avec ses personnages.

Tour à tour, on en vient à en vouloir ou à prendre la défense de chacun. Parce que la vie n’est pas toute blanche ou toute noire, mais qu’elle est composée d’autant de zones d’ombres que de traits de lumière, qu’on les saisisse sur une pellicule ou dans son cœur. Parce que ce roman rappelle que, parfois, les choses évoluent sans coupables ni victimes, juste parce que c’est ainsi que le décide la vie. Et c’est cette notion que cette prometteuse autrice a su mener parfaitement de la première à la dernière page avec un brio certain.

En attendant, sans l’ombre d’une hésitation, la prochaine occasion de plonger dans l’écriture enlevée et prenante d’Haley Riles.

 

 

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