Titre Samru
Auteur Gilles Milo-Vacéri
Éditeur Éditions du 38
Date de sortie 1° avril 2021
Un titre à commander ici Samru
Bonjour à tous. Difficile de chroniquer une nouvelle.
C’est un exercice auquel, d’habitude, je ne me livre pas. Mais aujourd’hui, deux jours après avoir reçu en pleine face et en plein cœur le texte de Gilles Milo-Vacéri, j’ai décidé de vous livrer, plus qu’une chronique, mon ressenti après cette lecture poignante, déchirante et en même temps lumineuse.
Le texte est donc plus personnel que d’habitude, je m’en excuse par avance, mais j’avais besoin de partager avec vous ce que m’a évoqué cette lecture.
1984
Cette année là, je vais avoir huit ans et comme nombre de mes petits camarades, je regarde à la télé, les images de petits enfants éthiopiens frappés par la sécheresse et par la guerre. À l’époque, j’avoue que je me rappelle davantage de la sécheresse et de la faim. Parlait-on de la guerre? L’ai-je occultée?
Comme nombre de mes petits camarades, j’apporte à l’école des paquets de riz. Une aide bien dérisoire, qui a peu de chances d’arriver à destination, mais ça, je ne le sais pas encore.
En même temps, en Ethiopie, des enfants de mon âge n’apportent pas de riz à l’école pour se sentir utiles. Eux, ils doivent chercher comment survivre, avec mon riz qui n’arrivera pas, avec un peu d’eau ou des aliments plus ou moins improbables.
Samru, le jeune garçon qui donne son titre à la nouvelle de Gilles Milo-Vacéri, est de ceux-là. On a le même âge, au moment du récit, mais rien ne pourrait rendre nos vies plus différentes.
Samru vit dans un village éthiopien. Il est l’aîné de trois enfants. À sa façon, il veille sur ses deux sœurs Fissela et Tigisi.
Il aide à élever les chèvres de la famille. Mais la vie est difficile. L’eau manque, la nourriture aussi.
Les plus faibles ne résistent pas malgré tous les efforts.
Et la sécheresse n’est pas le seul des maux qui menacent.
Là où je rentre de l’école pour prendre mon goûter, Samru rentre de la recherche désespérée de sa pitance pour être confronté aux horreurs humaines.
Cette nouvelle est celle de l’horreur. Elle est celle de la lutte quotidienne, de la lutte de chaque minute pour la survie, pour un pas de plus, pour un souffle de plus. Les événements, que l’on devine à travers les mots de Samru, sont des moments indicibles, des instants où l’humanité s’efface derrière des réalités macabres, celle des enfants soldats, celle des massacres aveugles, toutes ces images sur lesquelles l’auteur jette un silence pudique mais qui acquièrent une grande puissance. J’y mets des images, forcément moins fortes que la réalité, mais qui hantent mon esprit d’humain et d’historienne également.
Pourtant, quels que soient les instants de noirceur et de découragement, cette nouvelle est aussi celle de l’espoir, de l’infime étincelle quand tout semble perdu.
Par quel hasard passent-ils à ce moment à cet endroit, ces deux médecins humanitaires qui enterrent plus souvent qu’ils ne sauvent?
Pourquoi ce moment? Pourquoi cet enfant? Cet enfant qui a mon âge mais survit ailleurs, loin de mon goûter et de mes petits soucis.
Je n’ai pas l’habitude de chroniquer des nouvelles, je l’ai dit en préambule. Je n’en lis pas beaucoup non plus. Mais celle-ci est un peu à part.
Elle diffère parce que, en la lisant, je n’ai pas pu m’empêcher de m’identifier à mon passé, aux images distanciées des médias face à une réalité. Gilles Milo-Vacéri a fait le choix d’un récit édulcoré, presque adouci, vu à travers les yeux d’un enfant, avec ses mots simples et son degré de compréhension. Il nous a épargné les images les plus rudes. Pourtant, le cerveau fait son œuvre, mais sans doute est-ce loin, très loin de ce que tous, acteurs comme témoins ont pu vivre.
Et malgré cette précaution, le récit est fort et terrible. Il l’est d’autant plus qu’il renvoie à une réalité tangible, qui a laissé son empreinte.
Elle est à part également parce qu’elle balance avec la même puissance le désespoir et la noirceur, mais aussi une lueur d’espoir.
Pourtant, les personnages de Pierre et celui de Christian sont, là encore, marqués par le sceau du drame.
Quand on lit la partie du récit qui leur est consacrée, on sent la détresse et une forme d’impuissance. Et là encore, la machine à souvenirs s’emballe. Je crois que c’est la première fois où j’entendais vraiment parler de médecins humanitaires, de ces volontaires qui partaient aider, loin du confort et de la routine quotidienne. je les imaginais comme des sortes d’aventuriers qui allaient trouver le dépaysement.
La réalité, quoi qu’adoucie, de nouveau, est bien plus sombre. Que de vies perdues, que de souffles envolés trop tôt. Alors, pour ces hommes aussi, Samru est un espoir, l’espoir que tout ceci n’est pas vain, que leur présence, leur compétence et leur détermination peuvent faire la différence.
Samru est un récit court, à peine une cinquantaine de pages. Pourtant, c’est un texte coup de poing et coup au cœur. C’est aussi un témoignage, celui livré par un auteur de talent qui met sa plume au profit de sa mémoire, au profit de notre mémoire. En mémoire de tous les Samru d’Ethiopie et d’ailleurs, de toutes ces vies découvertes derrière un écran de télévision et qui prennent subitement corps et âme à travers ces pages précieuses qui devraient être largement diffusées.
2021, je referme cette nouvelle, les yeux pas tout à fait secs, le cœur pas tout à fait indemne, partagée entre l’empathie et l’espoir.
J’en parle avec mon ado, comme de chaque lecture qui m’a marquée. Je me rends compte que, en dépit de son ouverture sur le monde, l’Ethiopie, la grande sécheresse, les guerres de l’Afrique de l’Est, ça ne lui évoque pas grand-chose. Alors je lui prends cette nouvelle, pour qu’elle lise, pour qu’elle visualise, pour que la mémoire et l’humanité se transmettent…
On en reparlera bientôt, elle et moi, de ces pages qui s’inscrivent, si loin, loin des réalités qu’on aime voir.
On en reparlera, de ces drames qui touchent des enfants de l’âge des miens.
On en reparlera, grâce à ce genre de textes.
Alors au nom de tous les Samru d’Ethiopie et d’ailleurs, merci pour ces mots et cette mémoire.