Minuit et demi d’Ewa Rau et Lia Rose

Titre Minuit et demi

Auteurs Ewa Rau et Lia Rose

Editeur Black ink Editions

Date de sortie 23 novembre 2022

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Minuit, l’heure du crime. Minuit et demi, l’heure au-delà, celle où il est trop tard pour espérer, trop tôt pour se venger, mais pile l’heure d’affronter tous ses démons.

C’est cette base que nous proposent Ewa Rau et Lia Rose dans leur romance sombre et particulièrement prenante.

Mahé Casagrande, dit le Baron, règne sur vos nuits. Filles, jeux, peu de plaisir échappent à son emprise, même si lui reste de marbre face à toute distraction. Les filles ? Uniquement pour assouvir ses pulsions, jamais au point de le détourner de l’empire qu’il a construit et des buts qu’il poursuit inlassablement.

Dans son milieu, il le sait, baisser la garde, accorder sa confiance, se croire intouchable, c’est la certitude de finir avec une balle dans la tête. S’il en doutait, le sort de son aîné, Joker, ancien leader du milieu, est là pour le lui rappeler. Depuis la mort de celui-ci, il ne s’accorde plus aucune faiblesse, épaulé de sa garde rapproché, X, l’homme de confiance qui a façonné l’homme qu’il est, de Paula, la doyenne, à qui il confie la gestion de ses filles et de Bouli, son bras droit.

Le trio l’entoure, le protège de tous et un peu de lui-même, facilite sa vie et ses affaires.

Parfois aussi, ils lui apportent des opportunités, … ou de sacrés soucis à prévoir.

Ainsi pourrait-on classer Gipsy, jeune migrante clandestine, vaguement hébergée, totalement exploitée par sa tante Marcella. Par un -heureux ?- hasard, Bouli croise sa route et décide de la prendre sous son aile. Quitte à la faire plonger dans les abîmes de l’empire du baron, quitte à en faire l’une de ses filles, quitte à la jeter en pâture au Baron.

Entre l’homme tout dans le contrôle et la sauvageonne tout juste arrivée de sa Transylvanie natale, il y a un univers. Quoique.

Ce sont les différences apparentes aussi bien que les points communs qui se dévoilent au fur et à mesure qui font une partie de la richesse de ce roman.

Les différences sautent aux yeux. Mahé flotte dans une opulence acquise de haute lutte. Il s’accorde de « menus » plaisirs bien mérités, des voitures de luxe, une île à l’abri de tous et quelques autres fantaisies. Le reste, il l’investit dans tout ce qui est nécessaire à la construction de son empire. De son côté, Gipsy vit dans les coins les plus obscurs de la pauvreté. Sans amis, sans argent, sans appui, parlant à peine anglais, elle n’a comme « soutien » qu’une tante qui la vendrait sans peine au plus offrant, elle et son seul trésor. Et quand le plus offrant se trouve être Bouli …

Commence alors une relation de haine-attraction poussée très loin entre le Baron devant lequel tous tremblent et ploient et cette fille sortie de nulle part, tournée vers son seul objectif et qui n’a tellement plus rien à perdre qu’elle en devient indomptable.

J’ai été emportée par l’histoire de Mahé et Mihaela (le vrai prénom de Gipsy, il peut être utile de le préciser) pour plusieurs raisons. D’abord, tous les deux ont une relation viscérale à la famille.

Leur enfance complexe a forgé les adultes qu’ils sont devenus. Elle dicte aussi leur conduite présente, jusque dans les décisions les plus extrêmes qu’ils prennent l’un et l’autre. Au nom de la famille et de la nécessité, ils sont prêts à aller très loin et des notions comme la loi, la bienséance, la morale ou leur propre bien-être, ne pèsent pas très lourd devant cet impératif incontournable.

De la même manière, ils ont, l’un comme l’autre, la loyauté chevillée au corps. Lorsqu’ils s’engagent, c’est sans demi-mesure. Mais malheur à celui qui trahirait leur confiance. Ils sont, l’un comme l’autre, sans pitié. C’est une évidence pour Mahé, surtout au vu de son métier. Mihaela se révèle tout aussi inflexible.

Ensuite, j’ai été happée par l’ambiance multifaces de ce roman. Le danger y est omniprésent, les ennemis tapis dans tous les coins. L’activité des jeunes femmes qui entourent Miha est sans équivoque. Ça pourrait être glauque, c’est dangereux, et pourtant, malgré la présence de Crystal, une garce de belle envergure, on assiste à de très beaux moments de complicité, avec Moira et Paris, par exemple ou avec Barry le videur et Casey le barman, mi-anges gardiens, mi-confidents. Ce contraste entre l’intérieur du quotidien de Miha et l’extérieur des activités du Baron est mené avec une finesse d’équilibriste.

D’ailleurs, par-delà l’histoire des protagonistes principaux, on n’oublie jamais qu’on est dans un livre sombre sur fond de lutte entre caïd et de corruption des notables, où tout se marchande et se négocie. Ce roman renferme aussi des scènes dignes des histoires de gangsters qui, paradoxalement, permettent de respirer dans l’atmosphère prenante de la romance. À moins que la bonté et le regard de Mihaela n’éclairent ce roman noir de mafieux, à vous de juger !

Gypsy est la pureté incarnée, et ce que je perçois dans ses yeux lorsqu’elle les pose sur moi me bouleverse. Malgré tout ce que je lui ai déjà fait vivre, elle me contemple avec compassion, comme si toute mon humanité, dont je me sais dépourvu, existait quelque part, à l’intérieur.

J’ai aussi aimé que ce roman montre une évolution des personnages pour atteindre un étrange point de convergence. Il est en partie fondé sur une attraction sensuelle qui ne cesse de monter dans un slowburn qui joue avec les nerfs des lectrices et la température ambiante. Il est aussi marqué par un fléchissement des caractères. Miha, élevée dans une foi solidement chevillée à l’âme qui la pousse à fréquenter régulièrement les églises du quartier -chaque chapitre est ouvert par une référence religieuse- va peu à peu mêler à une morale rigoriste les réalités du monde dans lequel elle vit et s’y fondre plus ou moins facilement. Mahé l’inflexible, guidé par ses seuls objectifs, habitué à distribuer la mort comme d’autres des cuillères de beurre de cacahuète, va se révéler capable de pique-niques dans l’herbe et de virées paradisiaques. Pour autant, l’animal à sang froid n’est jamais loin. Mais lorsque le cœur se réchauffe, lorsqu’il y a quelque chose à perdre, alors les dangers se font bien plus vivaces et les carapaces doivent se renforcer.

L’évolution des personnages passe aussi par celle du rapport de force. Mahé incarne une autorité létale et incontestable. Au début du roman, Miha ressemble à une petite chose fragile -mais à sacré potentiel. Mais la progression de chacun tempère peu à peu ce rapport.

Elle a gagné le droit d’obtenir mon aide si elle le désire. Son courage me l’impose. Justement parce qu’elle ne le quémande pas. C’est à cet instant que je prends conscience que je lui voue un respect étrange, en plus de la curiosité qu’elle m’inspire.

C’est donc, en dépit du contexte de l’histoire et du profil initiale des personnages, une histoire d’amour intense et passionnelle qu’Ewa Rau et Lia Rose ont concoctée avec un talent fou. Si l’on ajoute à ce portrait des scènes d’une sensualité bouillonnante et des rebondissements dignes des meilleurs romans de gangster, on comprend mieux pourquoi il est plus que temps de plonger dans ce roman si vous ne l’avez pas encore dévoré.

Pas la peine d’attendre minuit et demi pour y plonger cœur et âme !

 

 

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