Titre Les larmes de Satan
Tome 3 aux portes de l’enfer
Auteur Gilles Milo-Vaceri
Éditeur Éditions du 38
Date de sortie 4 Août 2018
Un titre à commander ici les larmes de Satan 3
Pour retrouver les chroniques du tome 1 https://melimelodegwen.fr/les-larmes-de-satan-tome-1-le-groupe-opera-de-gilles-milo-vaceri/
Du tome 2 https://melimelodegwen.fr/les-larmes-de-satan-2-dans-lombre-dalice-de-gilles-milo-vaceri/
Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.
Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
Chantez compagnons dans la nuit la liberté nous écoute, …
Le chant des Partisans, 1943, paroles de Maurice Druon et Joseph Kessel
À bien des reprises, en lisant cet ultime volet des Larmes de Satan, ces vers du Chant des Partisans ont affleuré à ma mémoire.
Aux portes de l’enfer commence presque un an après le départ forcé d’Antoine Boulan de Paris.
C’est presque naturellement qu’il a trouvé refuge et une raison de se battre aux côtés de Gustave Jandart et de son mouvement Honneur du Loiret. Là, il a retrouvé ce père spirituel, son petit frère de cœur, Thomas, et même Juliette, la jolie résistante dont les étreintes lui permettent parfois de tromper son indicible solitude.
Antoine doit rester caché et souffre de son inaction.
Inaction ? Oui, si on veut. Il sert de radio pour les réseaux du secteur, organise les mouvements et contribue à mettre en place une logistique de fuite vers la zone non occupée.
C’est que la situation de la France en 1942 se dégrade. Les camps de Pithiviers et de Beaune la Rolande se remplissent au pas de charge, mais se vident tout aussi vite. La Gestapo aidée de ses aides français redouble de vigilance et de cruauté… Puis arrive juin 42 et son étoile jaune qui n’illumine rien d’autre qu’un ciel de honte sur la France, puis le 16 juillet, la rafle du Vel d’Hiv et ses arrestations par la Police Française, sur ordre de l’État Français.
Si bien peu sont rescapés de ce gigantesque coup de filet, il est indispensable d’organiser leur fuite.
Pour Antoine, cette nouvelle escalade dans l’inhumanité, associée au spectre entêtant de ce lieu fantasmagorique, Auschwitz Birkenau, ajoute une cause au combat.
Sur sa route, il croise la famille Arez-Beckman. Le père, David, avocat pénaliste que l’on appelait « Maître » et à qui on nie son humanité. La mère, Alona. La fille, Esther, véritable rayon de soleil dans cette vie clandestine. La belle-sœur, Myriam, à la volonté farouche.
Et si cette rencontre était encore un coup du destin ? Un signe que l’on place sur une route, comme un phare, comme un indice, comme un objectif, comme un fardeau ?
Dans ce dernier volume, du Loiret à la froide campagne polonaise, Gilles Milo-Vaceri raconte les dernières années de la guerre.
Elles sont terribles. Le sens du sacrifice y trouve une signification nouvelle. Les raisons de se battre de nouveaux arguments. Les risques encourus de nouveaux périls.
Ces années mettent surtout à l’épreuve Antoine, perdu dans sa quête de rédemption, dans sa recherche constante d’atteindre le niveau d’exigence délirant avant de se reconnaître digne de la confiance de sœur Charlotte et d’Alice.
Il y a, dans cette recherche, des éléments qui relèvent presque de la naïveté enfantine. Le lecteur, comme tous ceux qui croisent cet homme à la résolution inébranlable, en sont tous d’accord. Antoine a plus que largement mérité son droit à la considération. S’il a commis des fautes, il les a rachetées au centuple. Mais ce n’est jamais assez.
J’ai été très sensible à ce degré de désespoir qui monte encore d’un cran quand on croit que tout est accompli. J’ai admiré la témérité qui confine à la folie ou au génie, avec laquelle le résistant planifie ses opérations. J’ai tremblé des sacrifices fous qu’il est prêt à s’imposer pour les réussir.
J’ai pleuré, sans surprise, de tous ces coups du sort, de cette liste de deuils qui n’en finit pas de s’allonger et qui, en écho aux paroles du chant des partisans, m’ont interrogée sur le nombre d’amis qui resteraient pour sortir de l’ombre à sa place.
J’ai parfois aussi été un peu perdue, en particulier d’un certain renoncement que j’ai eu du mal à comprendre, dans la dernière partie du roman.
Bien sûr, je ne vous dirais pas quand il a lieu, ni l’élément qu’il concerne. Mais j’ai dû marquer un temps d’arrêt afin de comprendre.
J’ai aimé ce roman pour la richesse de sa trame. Je l’ai déjà dit, j’admire cette façon de mêler la Grande Histoire avec l’histoire des individualités. L’auteur les a parfaitement dosées, en replaçant sur l’échiquier des pièces maîtresses qu’on pensait remisées. Et ce procédé, totalement maîtrisé, n’a fait qu’accroître mon bonheur de lectrice.
De la même façon, j’ai été très sensible à l’équilibre du roman. Des scènes d’action ou de tension extrêmes dignes de figurer dans un film adapté des Larmes, mais en parallèle, des scènes d’introspection qui s’inscrivent sans problème dans le rythme et offriraient une respiration nécessaire, si elles n’étaient aussi des moments où mon cœur s’est serré impitoyablement.
Un autre élément qui contribue à la puissance de ce roman, son dosage dans les éléments explicites et implicites.
Vu la teneur du récit, on aurait pu accentuer le trait du récit des souffrances, du détail des tortures, de l’horreur indescriptible de la vie dans des camps comme Auschwitz Birkenau.
Gilles Milo Vaceri fait un choix autre.
Il se place hors champ. Ainsi, (pardon pour l’exemple très précis) quand Antoine apprend que le camp polonais n’est ni un camp de prisonniers classique, ni une simple usine au service du Reich, on n’entend pas les mots précis de celui qui le renseigne.
Par contre, avec des personnages du livre, j’ai assisté, à distance, hors de portée de voix, à la dévastation qui balaie Antoine. Les témoins du livre savent à quoi s’en tenir, les lecteurs aussi sans doute. Pour ma part, prise dans ma lecture, j’ai ressenti cette mise en scène comme une tornade, balayant tout sur son passage.
En tant qu’auteure, j’aurais peut-être choisi un témoignage plus direct. Une raison de plus de me féliciter de n’être que la lectrice de ce récit à part, mené de main de maître.
De la même manière, dans le premier volet, j’avais souligné la « naïveté » politique d’Antoine. Elle trouve une sorte de continuation dans son ignorance des camps de la mort. Mais elle rappelle surtout, -et là encore, l’honnêteté du roman quant à l’époque du récit est précieuse- qu’en 1942, si des rumeurs allaient bon train, ils étaient peu nombreux ceux, surtout à l’Ouest, capables de décrire ou même d’envisager ce qui se passait dès qu’on franchissait les grilles funestes d’Auschwitz. Et cet effort constant de ne pas se positionner en « historien qui sait » mais en « spectateur qui observe » est assurément une des grandes richesses de cette trilogie.
Elle en possède encore bien d’autres. Mais plutôt que de vous les détailler, je vais vous inviter, si ce n’est encore fait, à aller à la rencontre d’Antoine, Jean-Paul, Alice, Lucien, Gustave, Thomas et les autres, à partager leurs espoirs et leurs souffrances, à vivre le danger et la camaraderie à leurs côtés et à vous rappeler que, peu importe le lieu, le temps ou l’idéologie, l’horreur trouve toujours son chemin à travers les bourreaux autant que par la complicité des témoins silencieux. Et si on laisse la bête immonde s’approcher en rampant, lorsqu’elle se dressera dans le soleil, il sera déjà trop tard.
En chroniquant le premier volume, je confiais que j’aurais adoré être l’auteur des Larmes de Satan. Je n’en démords pas.
Mais à défaut, j’espère en être un vecteur. Car non seulement ce livre mérite d’être lu, mais il devrait l’être, par les amateurs d’histoire, bien sûr ; par ceux qui réfléchissent aux valeurs essentielles de liberté, de fraternité et d’humanité ; par tous ceux qui savent que chacun, à son échelle, dispose d’une parcelle d’universalité.
Et par tous ceux à qui il est indispensable de l’enseigner.
Autant de raisons pour lesquelles, plus encore qu’un immense bravo à Gilles Milo-Vacéri pour cette oeuvre magistrale, c’est un « Merci » tout aussi puissant que je voudrais lui adresser. Au nom de tous les Antoine, de toutes les Alice, de toutes les Esther et de tous les autres, …