Titre Don’t leave the game
Auteur Théo Lemattre
Date de sortie 6 mai 2021
Un titre à commander ici Don’t leave the game
Chaque lecture de Théo Lemattre réserve son lot de surprises. Après l’épopée historique et la romance dont vous étiez l’héroïne, voici qu’il nous entraîne dans un polar dense teinté d’une romance pleine d’émotions.
Ce roman plonge dans l’univers sombre des combats clandestins et du « milieu ».
Adrian Valencia est entouré de noirceur depuis toujours. Frappé trop tôt par le deuil et l’abandon, il n’a eu qu’une lueur d’espoir dans sa vie, la venue au monde de son fils Tyler.
En dépit des obstacles, il est le guide qui préside à toutes ses décisions, à tous ses projets. Il est aussi la raison de tous ses coups de tête et à l’inverse ce qui lui permet de tenir un unique cap: garder son fils en sûreté et l’aider à s’épanouir.
Toute son énergie est mobilisée dans ce but qui ne lui autorise aucune distraction, jusqu’au jour où une jeune femme, aussi mystérieuse et cabossée que lui débarque dans la salle de sport où il s’entraîne assidûment.
Elle ne dit rien d’elle, mais est animée d’une énergie et d’une rage égales à la sienne. Elle n’attend rien de lui, pas plus qu’il ne souhaite rien d’elle.
Et pourtant, leurs blessures s’équilibrent, leurs solitudes s’attirent.
Et si cette femme, aussi sombre que lui, représentait l’ultime laissez-passer vers la lumière?
Pour répondre à ce postulat de départ, l’auteur nous entraîne sans temps mort dans une narration à donner le tournis.
De flashbacks en retour au temps présent, d’un personnage à l’autre, Theo Lemattre a mis en scène tout un puzzle qui, tel un casse tête de magicien, trouve une résolution évidente pour qui a su lire entre les lignes.
Autant l’annoncer tout de suite, si j’ai eu par moment des doutes, je me suis tellement plongée dans la narration, sans reprendre mon souffle ni reposer ma liseuse, que je n’avais mesuré qu’une partie de l’intrigue.
J’ai aimé ce roman, par cette narration justement. Par moments, j’ai dû relire deux fois les dates pour me repérer entre un passé vieux de plusieurs années ou de quelques heures. Mais c’est finement pensé. Chaque pas en avant ouvre des portes et pose des hypothèses. Le retour, en miroir, à la situation présente, met à mal tout ce que le lecteur croit savoir, pour le mener au point de vertige où il n’a plus qu’une solution, attendre sagement que l’auteur doucement sadique stoppe sa centrifugeuse à cerveaux.
Ce procédé a pleinement fonctionné avec moi. J’aime prévoir, imaginer, poser des hypothèses et les vérifier. J’en ai été pour mes frais parce que, prise dans le vortex temporel, j’ai été telle que, je pense, Théo Lemattre le souhaitait, trop déboussolée pour être pleinement lucide.
J’aurais aimé voir le plan de conception de ce roman, parce que tout s’imbrique à la perfection.
Ensuite, j’ai aimé les personnages. Même si certains comme Curtis, correspondent à l’image que l’on peut s’en faire -je vous laisse décider si c’est ou non un compliment- j’ai apprécié des personnages travaillés pour ne pas tomber dans le simplisme.
Adrian est froid, détaché des sentiments, irrévérencieux, sûr de lui. Pourtant, avec son fils, il se révèle chaleureux, joueur, chahuteur. Mais pour lui, il est également méfiant, sauvage et en même temps extrêmement vulnérable.
Au début du roman, je l’ai un peu pris pour une brute épaisse qui ne réfléchit pas. C’est un tort. Il est balloté par des éléments contraires, soumis à des pressions et des menaces qui en effraieraient plus d’un et tente de garder pied, en restant fidèle à quelques principes et sans tomber dans la paranoïa. Même mieux, il demeure inébranlable, du moins jusqu’à ce que la conscience aiguë de ce qu’il a à perdre menace de le faire vaciller.
La crainte concernant Tyler est ancienne. Elle semble presque intégrée alors que celle qui pèse sur sa jolie partenaire dévoile une facette du personnage plus touchante, comme celle de celui qui découvre un premier amour.
Des personnages féminins, il est difficile d’en parler pour ne pas trop en dire. Elles ont des points de convergence, comme leur soif absolue de justice, quoi qu’il en coûte, la chance de pouvoir compter sur des amis dévoués et fidèles, leur besoin de soigner les oiseaux blessés et autres échoués de la vie.
Pour autant, ne les cantonnez pas au rang d’infirmière ou de « faible femme »! Leurs prises de position et leurs interventions en font tout sauf des princesses dans du papier de soie.
Dans ce roman, j’ai aussi été sensible à la thématique de la famille.
Une mention spéciale doit être réservée à Tyler. Ce gamin est l’un des cœurs de l’intrigue. Il est à l’origine ou à la conclusion de tellement de décisions et représente tant d’enjeux que le contraire eût été étonnant.
J’ai fondu pour cet enfant à la fois capable d’une grande maturité et qui garde le regard naïf et tendre de l’enfance. J’ai frémi de le voir souffrir au moment où il comprend que certains mensonges sont des actes d’amour. Et j’ai intérieurement absous l’auteur des tourments qu’il a infligés à ses lecteurs en récompense de la façon avec laquelle il a pris soin de ce bonhomme à la trajectoire moins qu’évidente.
Pour autant, tout n’est pas rose dans les familles de sang qui offrent un certain panel de specimen, allant de l’attachement fusionnel à l’indifférence la plus totale.
On pourrait se dire que la famille professionnelle est parfois une tribu plus protectrice. Là encore, l’histoire oscille entre loyauté et rivalité, entre sens du sacrifice et besoin de contrôle.
Toutes ces nuances forment un tableau complexe dont l’auteur joue avec force et délicatesse, ce qui donne à la fois une autre dimension au roman et aux péripéties qui l’émaillent, mais aussi un autre éclairage sur les héros, et même un temps de respiration différente dans un rythme soutenu.
En effet, il y a, tout au long de la narration, outre les flashbacks que j’ai évoqués, une accélération progressive qui rend la dernière partie du roman irrésistible.
Chaque chapitre offre son rebond, ce qui fonctionne d’autant mieux qu’on a cru à un autre tempo.
Chaque « résolution » annonce un autre looping dans ce roman que je vous conseille résolument de découvrir pour mettre des noms et des détails concrets derrière mes allusions et vous apprêter, vous aussi, à perdre le souffle, sans possibilité de penser à quitter la partie.
Pour le meilleur, pour le pire, ou pour l’imprévu!