Serghey de Matthieu Biasotto

Titre Serghey

Auteur Matthieu Biasotto

Date de sortie 20 octobre 2021

Un titre à retrouver ici Serghey

Difficile de trouver de nouveaux superlatifs pour décrire chaque lecture de Matthieu Biasotto!

Depuis un peu plus d’un an que je suis toutes ses sorties -soit six, celle-ci comprise- je crois que j’en ai usé un certain nombre. Chaque fois différentes, les histoires contées par Matthieu Biasotto ont néanmoins un certain nombre de points communs. Elles me font voyager. Elles sont sacrément bien écrites. Elles ont des playlists topissimes. Elles sont super bien ficelées. Elles offrent un équilibre délicat et subtil entre les sentiments, les sensations et un suspens toujours bien ménagé.

Je pourrais de nouveau employer toutes ces caractéristiques pour parler de Serghey, le nouveau héros signé Matthieu Biasotto. Je pourrais vous dire que Serghey répond parfaitement à la règle des 3 T de ceux qui donnent leur nom aux romans: Taiseux, torturé, ténébreux.

Je pourrais vous dire que Tihana est tout ce que j’aime dans les romans de Matthieu, tellement submergée par les problèmes que c’est à se demander comment elle tient debout, mais qu’elle fait mieux que tenir, elle résiste, elle tempête, elle tient tête.

Je pourrais partir dans mille comparaisons, mais ce serait oublier l’essentiel. Ce qui fait l’un des points très forts des romans de cet auteur, c’est sa capacité à se réinventer à chaque fois, à creuser une histoire différente qui fonctionne parfaitement et, non seulement me fait voyager et allonger ma liste de destinations à voir -ou à revoir- mais malmène mes émotions immanquablement.

Autant le dire tout de suite, ce Serghey ne fait pas exception.

Virtuose du piano, dont il joue avec une technique exceptionnelle et le petit supplément d’âme qui change tout, il a triomphé sur toutes les scènes, de Tokyo à Milan, secondé par son ami et agent Zivko.

Du moins, ça a été le cas. Marqué dans sa chair et dans son âme, Serghey n’a plus touché à un clavier depuis des mois. La faute à des blessures qui cicatrisent lentement. La faute à un profond désenchantement qui le laisse reclus dans sa sublime villa de Split. La faute à sa capacité impressionnante à faire fuir tous ceux qui veulent l’aider. Seul Igor, son fidèle majordome et un grand-duc arrivent encore à pénétrer dans sa forteresse.

Même l’agence médicale -pourtant rodée aux patients difficiles- ne sait plus qui lui envoyer qui tiendrait le coup plus d’une journée. En désespoir de cause, sa responsable parie sur sa dernière chance, Tihana Horvat.

C’est une dernière chance à double sens. Engluée dans un deuil impossible, piégée dans un divorce des plus glauques, Tihana est au fond du gouffre. Sa bouffée d’oxygène, c’est sa petite Iris, presque six ans, dont deux dernières bougies marquées par les déboires. Tihana surnage, mais à peine, grâce au soutien sans faille de son sexy voisin Edvin et de sa meilleure amie Mirna, de ceux toujours présents quelle que soit l’heure et la galère.

Alors ajouter à ce tableau déjà sombre un client capricieux qui a l’habitude qu’on cède à tous ses caprices et qui placarde ses stéréotypes et ses rancœurs sur tous ceux qui croisent sa route, non merci!

Et si ni l’un ni l’autre n’ont le choix de cette collaboration électrique, elle se règlera à coup de joutes verbales acerbes mais savoureuses et de petites observations vachardes!

Mais si, du sens de l’observation de nos deux protagonistes, de la bienveillance innée de Tihana, de l’instinct de Serghey -bien secondé par quelques remontrances pas volées- et du désespoir de chacun naissait cette magie sublime et impossible à prévoir? Si une petite princesse à la langue bien pendue et au goût marqué pour les sucreries hors repas tendait un pont par-dessus les doutes et les secrets?

Car, en parallèle de cette romance qui n’a rien d’évidente et rencontre obstacles, malentendus et incompréhensions à la pelle dans une collision d’univers fort bien pensée, il y a aussi l’autre point fortissimo de ce roman. Le mystère qui entoure la vie de Tihana et celle de Serghey autour d’une date maudite.

Sans surprise, je ne vous parlerai pas de cet aspect du roman, sinon que l’auteur a distillé tout au long de la lecture des indices et des fausses pistes, des révélations qui n’en sont peut-être pas et des désillusions nécessaires, juste comme il faut pour faire peser sur toute l’histoire une pression et cette épée de Damoclès qui se balance dangereusement au-dessus du cœur de chacun.

J’ai aimé ce roman pour son dépaysement. Que ce soient les côtes dalmates ou les lumières de Shibuya, attendez-vous à voyager en première classe grâce à un guide hors-pair. Même les atterrissages ressemblent à des moments de poésie, à des mélodies légères sous la plume du sieur Biasotto, c’est dire!

De mélodie, évidemment, il en est question dans ce roman. Vu la qualité des playlists de chaque titre, le contraire aurait été surprenant. Personne ne s’étonnera de découvrir que le piano y occupe une place de choix, avec une composition qui colle à l’ambiance des chapitres et dont, sans surprise, certains titres sont venus compléter mes propres playlists. Si le fait de lire en musique ne vous gêne pas, c’est vraiment un exercice à faire pour compléter l’exercice de l’immersion dans la lecture.

J’ai été particulièrement sensible, dans l’histoire, à la façon dont la musique est intrinsèquement liée à l’existence de Serghey. Elle est bien sûr son moyen de subsistance, ce qui lui a permis de surmonter des traumatismes, comme l’art peut aider un grand nombre d’entre nous quand la vie paraît trop sombre et sans espoir. Elle est aussi l’interprète de son état d’esprit. J’ai été émue à la fois de l’impact qu’elle peut avoir sur ceux qui l’écoutent. Elle crée des couleurs, des émotions et des instants suspendus, mais je crois que j’ai été encore plus chavirée par la façon dont Serghey l’apprivoise de nouveau, comme il reprend le contrôle sur son corps et sur sa vie et surtout par la façon dont il la transmet.

Ce n’est pas le chapitre le plus spectaculaire du roman, mais la première leçon de piano est une scène que j’ai relue avec beaucoup d’émotions aussi inexplicables que l’est l’impact de la musique en somme.

J’ai aimé les personnages de ce roman. Je commencerais par les personnages « secondaires » même si ce terme rend peu justice à la façon dont ils contribuent à tisser la trame solide de l’histoire. Igor, tour de contrôle inébranlable et bienveillante est un vrai coup de cœur. Son rôle de l’ombre est l’un des piliers et j’ai aimé qu’il veille sur tout avec cette distance -presque- inébranlable. Jelena, la sœur de Serghey, en est un contrepoint essentiel. On remarque à peine sa présence et pourtant chacune de ses interventions résonne intensément.

Tout à l’inverse des tonitruants Edvin et Mirna qui apportent une note vibrante de passion et de vie bouillonnante dans ce casting. J’ai aimé leur dévouement, leur présence pas discrète mais ô combien nécessaire, en particulier quand ceux qui devraient être les remparts à tous se défilent ou pire, prononcent l’imprononçable.

Parler d’Iris demanderait sans doute une chronique à elle seule. Elle est évidemment centrale dans l’histoire de Tihana, mais aussi dans tout ce qui se construit entre les différents protagonistes. J’ai adoré sa candeur d’enfant, capable de mettre des mots sur les hypocrisies des adultes et de faire sauter des verrous qu’on pensait inviolables.

Et venons-en à nos deux terribles. En abordant la relation entre Serghey et Tihana, j’ai pensé à l’opposition sociale, à la règle des opposés, avant de réaliser qu’il y a beaucoup plus de points communs entre eux que leurs comptes en banque et leur logement le laissent à penser. Tous deux sont des passionnés. Par la musique pour lui, par la prise en compte de l’autre et le dévouement pour elle. Tous deux ont été brisés dans leur âme, plus encore que dans leur chair par l’incompréhensible et l’indicible. Tous deux sont aussi, quoi qu’on en pense, pris à la gorge par des forces plus puissantes que leur volonté ou leurs priorités.

Aucun d’entre eux n’est décidé à accorder sa confiance, quoi que, à cet exercice, contrairement à ce que j’avais imaginé, Serghey se montre finalement plus doué.

Mais surtout, et c’est sans doute pour cette raison que ce roman fonctionne si bien, tous deux ont, quoi qu’ils en pensent, encore beaucoup à apporter aux autres, beaucoup de nouvelles portes à ouvrir ou à enfoncer et une vie entière de découvertes et de passion à poursuivre.

Et c’est sur ce chemin que Matthieu Biasotto a déroulé une symphonie aux multiplies accents où une impression domine, celle de l’harmonie et de l’équilibre qui, quels que soient les accords dissonants et les passages périlleux, signe une totale réussite.

Standing ovation, bis repetita et tous les applaudissements du public en attendant la prochaine!

 

 

 

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