Titre Nous étions seulement des enfants
Auteur Rachel Jedinak
Editeur Fayard
Date de sortie 19 septembre 2018
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L’histoire est plus qu’une passion, une vocation chez moi.
Comme beaucoup d’historiens, j’ai des périodes qui me parlent plus que d’autres. Pour de nombreuses raisons, intellectuelles, morales, affectives, la deuxième guerre mondiale en fait partie.
Et plus que le récit purement militaire, c’est l’aspect humain qui m’interpelle. Du « héros » résistant bien loin de l’image d’Epinal au collabo dans toute son horreur, en passant par les gens simples, sans histoire, percutés de plein fouet par la déferlante terrible de l’Histoire et de son oeuvre colossale.
La « petite histoire », celle qui n’était pas destinée à sortir des souvenirs familiaux, c’est celle que narre Rachel Jedinak dans un livre court, qui serait à recommander dans toutes les écoles.
Pas de grande leçon d’histoire. Pas de grande envolée philosophique ou moralisatrice. Non. On découvre la vie quotidienne d’une petite fille, de sa soeur, de ses parents, juifs polonais qui se sont arrêtés en France par amour, alors que leur route les menait plus à l’Ouest.
Par bribes, Rachel nous raconte son enfance, son amour de l’école, les premiers mots qu’elle a déchiffrés, « Mobilisation Générale », parce que l’Histoire et la Pologne la rattrapèrent un jour de septembre 1939.
Par touches, elle nous livre les derniers mois de ses parents, la peur, les rafles, la nécessité de se cacher.
Mais on lit aussi la vie des « autres », des Français ordinaires, de la petite fille qui refuse désormais de jouer avec son amie, parce qu’elle est juive, à la maîtresse d’école mettant en place une évacuation d’urgence. De la concierge livrant le lieu d’asile des enfants à ces citoyens révoltés qui permettent à deux fillettes de fuir une nouvelle arrestation de masse.
J’ai été happée par ce récit simple et poignant. J’ai revu des lieux connus, Menilmontant, La Bellevilloise, Drancy et la cité de la muette.
J’ai frémi, j’ai retenu mon souffle, j’ai retenu quelques larmes sur ce geste désespéré d’amour d’une mère prête à tout pour que survivent ses enfants. Dans le livre, l’auteure dit qu’il y a des choses qu’elle n’a comprises qu’une fois mère. Peut-être est-ce ce regard qui m’a davantage émue encore.
Mais là où le récit prend une dimension qu’on n’aborde pas toujours, c’est dans le « après ».
Louise, la soeur de Rachel, a opté pour le départ, pour le silence, pour une forme d’oubli en posant un voile pudique sur les blessures trop vives.
Rachel a suivi la même voie. Au départ. Avant que ses enfants, puis ses petits enfants, ne lui rappellent la nécessité de la parole. Avant que des actes lourds de symboles et de haine, comme la profanation du cimetière juif de Carpentras, ne lui soufflent, comme toutes les voix de ceux qui ne peuvent plus faire entendre la leur, à quel point le devoir de mémoire est vital, un combat qui ne doit pas cesser.
Aussi, la fin de ce récit nous emmène-t-elle dans les établissements scolaires où Rachel témoigne, parfois face à l’incrédulité, voire le préjugé de ceux qui ont la chance de ne pas avoir à se poser la question de la survie et de la différence. Mais j’ai aussi découvert le comité de l’école de la rue Tlemcen qui oeuvre depuis des années pour que toutes les écoles de Paris et d’île de France perpétuent la mémoire des petits écoliers qui n’ont pas fini leur scolarité, faute d’une étoile, faute de la barbarie et de l’intolérance, faute du silence de certains voire des complicités.
Et de nouveau, l’Histoire croise Rachel devenue adulte, à travers la mission qu’elle poursuit pour elle, pour ceux qui ne peuvent plus témoigner, pour le futur de ses enfants, de ses petits-enfants, de tous.
Un livre fort, émouvant, qu’il faudrait recommander dans toutes les bibliothèques de collège ou de lycée.
Un sincère remerciement aux Editions Fayard et à NetGalley de m’avoir permis d’y accéder.