Les papillons se cachent pendant la pluie de Danielle Guisiano

Titre Les papillons se cachent pendant la pluie

Auteur Danielle Guisiano

Date de sortie 1° juillet 2020

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Qu’est-ce qui fait qu’on réussit sa vie?

Un poste à responsabilités?

Une réussite sociale?

Le désir constant de se surpasser et accessoirement, de surclasser son rival, ou du moins de ne pas le laisser s’approprier le fruit de son travail

Oeuvrer pour satisfaire les autres dans ce qu’ils projettent sur nous?

Ou prendre le temps de vivre?

Mettre en adéquation sa vie et ses principes?

Se trouver soi-même dans ce qu’il y a de plus profond et de moins superficiel?

Cette romance feelgood de Danielle Guisiano propose une superbe histoire  pour répondre à ces questions.

Blanche arrive dans le hameau de Sivergues, au coeur du Luberon, comme on viendrait en pénitence.

Son acharnement à gravir les échelons de sa société, à satisfaire les exigences de ses proches, à entrer dans le moule qu’on a forgé pour elle, tout ceci a un poids lourd sur cette adepte du contrôle qui tente de maîtriser son corps comme elle aimerait maîtriser sa vie. Avec trop de rigueur, de glissements vers les excès, avec un comportement si extrême qu’il confine à l’autodestruction.

Sauf qu’à force de se malmener de la sorte, arrive ce qui devait advenir. Le craquage. Le burnout. L’hyperfragilité. Le repos forcé.

Et pour Blanche, la citadine qui a l’habitude d’une vie trépidante, ça passe par la bastide que sa tante lui a léguée.

Autant dire que quand Simon, son meilleur ami, la dépose dans ce qui ressemble de près au point le plus éloigné du centre de son univers, cette battante qui ne s’accorde jamais de répit de peur de l’ennui et de l’échec, est particulièrement déboussolée.

Imaginez plutôt. Un hameau, sans aucun des lieux bruyants et superficiels qu’elle a l’habitude de fréquenter. Des personnages aussi étranges qu’une herboriste un peu médium, un éleveur de chèvres et un aubergiste, pour ne citer qu’eux. Un chat comme confident. Un paysage de collines et de grottes sans le moindre gaz d’échappement. Ça a de quoi décontenancer la jeune femme qui ne sort jamais sans son maquillage et veille à toujours être irréprochable.

Et quand elle apprend qu’Elvira, sa tante inconnue, a, entre la confection de deux filtres aux plantes, donné à ce séjour la mission de lui révéler le sens de la vie, il y a de quoi crier à la folie d’outre-tombe.

Ce roman est donc le récit d’une quête, d’une lutte constante de Blanche contre elle-même. On assiste, tantôt plein d’espoir, tantôt impuissants, à tout son cheminement. À ses avancées timides vers une vie moins toxique, guidée par la douce amitié de Constance, l’amie inséparable d’Elvira. À la façon simple dont elle se départit par petites touches du carcan de sa vie lyonnaise.

Mon on prend aussi de plein fouet ses volte-faces, ses doutes, ses hésitations.

Les premières sont toujours timides, presque sur la pointe des pieds, comme si elle s’excusait de se faire du bien. Elle opère les secondes avec la puissance d’un bulldozer doublé d’un rhinocéros. En force et sans faire de détail. Et tant pis pour tous ceux qui lui tendraient une main secourable. Elle les balaie de son chemin. Pour avancer sans doute. Pour être sûre de ne pas fléchir, plus sûrement.

J’ai eu, à plusieurs reprises, le coeur serré devant son auto-destruction. Elle touche à des émotions qui ont remué des choses en moi. J’ai eu envie, plus d’une fois, de lui dire, plus durement que Constance, avec la même fureur que Kenza ou Eddy, de ne pas refuser le bonheur qui est là, tout prêt, pour une satisfaction qui ne sera jamais qu’une étape et une frustration vers un contentement bien illusoire.

Encore faut-il, pour atteindre la plénitude, faire la nuance entre réussir sa vie et réussir dans la vie.

Mais faire la différence entre l’un et l’autre n’est pas donné à tout le monde. Elle nécessite d’abord d’accepter.

Accepter ses failles, ses faiblesses. Accepter de différencier ce que les autres attendent de soi et ce qui est bon pour nous. Ce qui nous fait paraître et ce qui nous épanouit.

Accepter de s’ouvrir aux autres. Cesser de les repousser avant qu’ils ne disparaissent. Accepter les mains tendues, même si elles ne le sont pas comme on le voudrait.

Mais réussir sa vie, c’est aussi laisser la place aux sentiments. À tous les sentiments. À la solidarité un peu intrusive du village, qui couve avec bienveillance cette nouvelle venue. À l’attraction qu’exerce Eddy. À l’attention de Simon sous ses airs superficiels. À l’expertise de Yanis, capable de mettre des mots sur les maux de Blanche.

Mais si le roman -et cette chronique- tournent beaucoup autour du mal-être de la jeune femme, il fait aussi la part bel à un autre blessé de la vie, Eddy. Les causes en sont différentes. Les manifestations aussi. Mais j’ai été touchée, à maintes reprises, par le coeur émietté du beau berger et tout ce qu’il doit surmonter.

J’avoue même que, égoïstement, j’ai failli lui conseiller, à plus d’une reprise, de penser d’abord à lui.

Mais penser à lui, à son bonheur, n’est-ce pas aussi envisager un tout? Au terme d’un parcours chaotique, dont le récit m’a grandement émue, il est -presque- en accord avec lui-même, malgré la tentation de la rechute qui le saisit parfois. Mais pour que le « bien » de sa vie se bonifie en « mieux », il doit lui aussi accepter de s’ouvrir aux autres, de surmonter ses terreurs et d’autoriser son coeur à battre de nouveau.

Et pas pour le lien bourru qu’il a pour Marc ou Victor. Pas pour l’amitié un peu bancale qui l’unit à Kenza. Pas même le lien presque filial qui le lie à Elvira et Constance. Non, il lui faut ouvrir son coeur, en grand, à celle qui a tout pouvoir: le combler d’un amour absolu et d’un bonheur sans borne ou l’anéantir sans espoir de rédemption.

Il y a là un défi dans le roman de Danielle Guisiano: celui de confronter deux blessés de la vie. Leurs failles ne sont pas les mêmes. Leur degré de convalescence non plus. Mais leur fragilité réciproque est une force autant qu’une faiblesse. Une force parce que chacun est apte à comprendre les doutes de l’autre. Mais une faiblesse car, pour soutenir l’autre, mieux vaut soi-même être solidement ancré dans ses certitudes et ne pas être trop fragile.

C’est donc un parcours d’équilibriste que celui qui mène Blanche vers Eddy et vers son bonheur.

Il est d’autant plus périlleux que tout semble se liguer contre eux. Comme si les contraintes extérieures, et même certains de leurs proches, se donnaient le mot pour contrarier les plans des Cupidons en herbe.

Des ombres ou des lumières, des obstacles ou des renforts, qui sortira vainqueur de ce défi pour le bonheur?

Vous imaginez bien que je ne vous soufflerai pas la réponse.

Par contre, je vous dirai sans peine les raisons pour lesquelles j’ai tellement aimé ce livre, différent de ceux que je lis habituellement.

D’abord, l’auteure et moi partageons l’amour d’une région dans laquelle une partie de ma famille a vu le jour et pas forcément les plus utilisées comme décor pour des romans. C’est très dommage! Sans être aussi renommés que les chutes du Niagara, certains sites méritent amplement le coup d’oeil -mais chut, on les garde jalousement pour nous!

Ensuite, parce qu’elle a la capacité à me faire passer en quelques pages par une kyrielle d’émotions et confirme qu’il y a de la place pour des sentiments très nombreux dans ce roman, tous plus intenses les uns que les autres.

J’ai aussi été touchée par les thèmes abordés. Pour différentes raisons, ils m’ont profondément émue parce que plusieurs d’entre eux sont à la fois terriblement communs, mais qu’ils prennent une dimension bien particulière lorsqu’ils touchent des personnages concrets.

Les personnages sont d’ailleurs l’une des autres forces de cette histoire. On aurait pu les craindre versés dans la caricature. Il n’en est heureusement rien. Bien au contraire. Danielle Guisiano en a brossé des portraits tout en nuances qui les rendent particulièrement attachants et m’ont faite entrer dans une grande empathie.

Vous l’aurez compris, malgré tous les moments où votre coeur va se serrer ou s’emballer -ou peut-être grâce à ces instants- l’auteure réussit un roman subtil et prenant, attendrissant et émouvant, fort et fragile.

Une bien belle tranche de vie à l’abri des collines du Luberon où j’espère, vous aussi, vous poserez bientôt vos bagages, au propre comme au figuré.

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