Titre Lennie 1 Comprendre
Auteurs Karyn Adler et Loïs SMes
Éditeur Kyrro Éditions
Date de sortie 12 février 2021
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Comment aimer les autres et se faire accepter d’eux quand on se sent étranger à son propre corps et à sa propre histoire?
C’est sur cette question fondamentale, entre autres, que se fonde le roman à quatre mains de Karyn Adler et Loïs Smes.
Lennie sans Y est, sur le papier, une jeune femme prise entre son travail d’assistant à distance et celui de serveuse, qui vit en cohabitation avec Sapho son exubérante amie et Gab, mi gourou hippie, mi sage, 100% ami sincère et attentif.
Mais dans son cœur et dans chaque fibre de son être, Lennie se sent dépossédé de cet Y qui permettrait à son enveloppe charnelle de correspondre à celui qu’il est. Car du plus profond de son âme, Lennie souffre d’une dysphorie de genre. Il est un homme enfermé dans un corps qu’il ne reconnaît pas comme le sien.
Ainsi coincé dans une identité tronquée, entouré de ses amis, Lennie a tiré un trait sur l’amour. S’il n’arrive pas à s’accepter lui-même, s’il n’est jamais parvenu à expliquer à ses proches qui il est, par peur d’être rejeté, comment imaginer s’exposer à une autre, se mettre en position de souffrir?
Dans une relation amicale forte, mais pipée dès le départ par la dissimulation de cet essentiel, comment expliquer que quand Lennie s’estime hétérosexuelle, c’est parce qu’il aime les femmes.
Comment affronter le regard des autres et sa propre construction quand on est prêt, pour ne pas heurter les représentations, à lutter contre son moi profond?
Cette vie, Lennie la mène sans se poser de question, jusqu’au jour où il croise la route de Manël, une jeune femme un peu décalée, qui elle aussi a renoncé à l’amour. Comment expliquer alors qu’entre ces deux cœurs fermés à toute possibilité, les sentiments s’emballent? Quel nom leur donner? Faut-il d’ailleurs tenter de cataloguer les gens, les genres et les affections?
Ce roman pourrait être une romance où se mêlent homosexualité, pansexualité et transidentité.
Il est bien plus, et sans rien nier à la puissance de cette essence, dans ce roman à quatre mains, souvent bouleversant des sentiments qui le traversent, Karyn Adler et Lois Smes nous offrent un roman d’amour, d’acceptation et de compréhension qui, par-delà les questions cruciales qu’il pose, nous rappelle surtout que l’amour n’est pas une question, ni de sexe ni de biologie, mais de pureté du cœur.
Je connaissais la plume de Karyn, pas encore celle de Loïs. De la première, j’ai apprécié, dans mes précédentes lectures, sa capacité à dépeindre avec tendresse et empathie, des personnages marqués par la vie, qui cherchent à tracer leur route entre deux jours sombres, en espérant entrevoir une éclaircie de bonheur.
Lennie n’en est pas là. Il est dans le contrôle permanent, dans un rôle qu’il ne sait plus quitter. S’il entretient un certain flou, par peur de ne pas coller aux attentes de ses proches, il est aussi résigné à ne pas trouver quiconque qui pourrait le comprendre, encore moins l’accepter.
Et si je dois avouer que le personnage de Sapho m’a parfois semblé froid ou en tout cas égocentrique, j’ai par contre eu un vrai coup de cœur pour Gab. Il paraît souvent à l’Ouest de l’Ouest, par ses prises de paroles et ses délires verbaux, à mi chemin entre poésie et douce folie. Mais il est aussi doué d’une empathie et d’un sens de l’observation tout autant que de l’écoute qui en font un être à part, à qui l’on doit certaines des formules les plus fortes de ce roman qui n’en manque pas.
On est en retard, non?
Mais en retard pour quoi?
Pour la vie. Ne soyons jamais en retard pour vivre
Parmi les formules d’une grande sagesse de ce gourou aux crackers, celle-ci en est une superbe.
Et que dire de Manël, l’autre protagoniste majeure de ce roman? Elle est cabossée, bien résolue à ne plus laisser son cœur s’emballer. Si elle collectionne les clefs avec passion, c’est sans doute pour trouver celle qui ouvrira la porte sur une vie plus paisible, plus harmonieuse qu’elle pourra, qui sait, partager avec d’autres que Pedro, son inénarrable chat.
L’amour, elle ne veut plus y croire. Homme ou femme, ce n’est pas la question, ce qui compte, c’est que chaque personne qui approche trop près de son cœur est un destructeur en puissance. Elle a donné, elle ne veut plus.
La complicité de son frère Jaden et de sa meilleure amie Lucie lui suffit amplement jusqu’à ce soir où elle entre en collision avec la bande de Sapho et avec Elle. Lennie. Cette énigme qui ressuscite son cœur et le malmène en soufflant le chaud bouillant de la complicité et le froid glacial de la distance.
Est-ce une première expérience homosexuelle qui bloque ainsi Lennie? Se moque-t-elle d’une curiosité? Cache-t-elle quelque chose de plus?
Ce n’est pas d’une biologie que je tombe amoureuse un peu plus chaque jour.
J’ai beaucoup de tendresse pour le personnage de Manël. D’abord parce que ses excentricités sont autant de remparts contre le monde et sa sombre dureté. Ensuite parce que j’ai éprouvé beaucoup d’empathie pour les souffrances qu’on lui inflige, sans le vouloir. Mais j’ai surtout aimé son ouverture d’esprit et de cœur qui en font une belle personne.
Une belle personne qui a le droit de trouver le bonheur, qui a le pouvoir, peut-être de comprendre Lennie avant, qui sait, de suivre le chemin à ses côtés, pour apprendre à être heureux dans toute l’acceptation de soi et de l’autre.
C’est un sacré défi que Karyn Adler et Loïs Smes ont déjà largement relevé, avant, j’en suis sûre de nous accompagner, dans le prochain volet, sur une voie non sans embuche, mais que j’espère des plus heureuses.