Titre Berlin Finale
Auteur Heinz Rein
Editeur Belfond
Date de sortie en France 20 septembre 2018
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Un titre découvert grâce au réseau Netgalley France
Il est difficile de chroniquer simplement cet imposant roman de près de 900 pages, de la même manière qu’il est complexe de le classer dans telle ou telle catégorie: documentaire sur les derniers jours de Berlin en guerre? Roman d’initiation politique et de prise de conscience? Traité de philosophie idéologique et humaine? Catharsis du passé nazi tel qu’il a été choisi, imposé ou subi au peuple allemand?
Un peu de tout ça et finalement bien plus.
Pour le comprendre, il est nécessaire de revenir à l’origine même de ce livre qui paraît en France pour la première fois, dans le catalogue de la maison Belfond.
Mais le livre a été édité pour la première fois en 1947 et composé un an après, donc encore à chaud par rapport à la fin du nazisme. Le nazisme, Heinz Rein l’a bien connu, malheureusement. Il a été victime de son emprise, lorsque ses écrits lui valent des travaux forcés et l’interdiction de ses écrits. Son engagement politique -tel qu’il est encore en 1947, est nettement sensible dans le livre. Une partie des personnages de l’histoire (difficile de parler de héros face à ces hommes et ces femmes « normaux » qui suivent juste leur conscience) est pétrie de socialisme. Mais à plusieurs reprises, lors d’oppositions d’idées, tel ou tel personnage précise bien qu’il n’est pas nécessaire d’être socialiste pour être, ce qui importe le plus dans le contexte du roman, opposé à Hitler et aux mensonges du nazisme.
Le contexte de l’histoire, presque contemporain de sa mise à l’écrit, est clairement marqué dans le temps et dans l’espace: Berlin, avril 1945. Il se joue un huis-clos dans cette ville qui se meurt peu à peu, gangrénée par le les bombardements puis les combats de ville.
Et quand, à un moment de la narration, le héros Joachim Lahssen quitte la ville moribonde pour la proche banlieue, son périple a des allures d’expédition sans retour assuré. Mais n’en est-il pas même des déplacements aussi anodins que le ravitaillement en eau aux puits, entre deux bombardements?
Certains aspects du roman m’ont passionnée, même s’ils sont aussi, paradoxalement, ceux qui ont le plus ralenti ma lecture. Ce livre est une mine documentaire pour tout passionné d’histoire!
On y trouve des descriptions d’une minutie impressionnante, quant aux lieux, aux événements. Des pages entières de discours officiels, de journaux de l’époque, de tracts de résistance, sont reproduits dans le livre qui évoque aussi longuement la culture d’Etat, les films autorisés, les musiques à la mode et plusieurs références presque insaisissables pour le lecteur du XXI° siècle sans le travail exhaustif de notes de fin de chapitre.
Il y a aussi, par moments, de longues digressions qui permettent d’appréhender la mentalité des Allemands et des Allemandes de 1945. Une certaine libération des moeurs pour celles qui veulent profiter de leur vie avant que, peut-être, une nouvelle attaque aérienne ne fauche leur vie.
Ces attaques rythment la vie et le récit des personnages, jusqu’au moment où elles deviennent si continues qu’il n’y a plus guère de raison de quitter les abris antiaériens, à part de partir en quête de ravitaillement ou de nouvelles. Le livre dépeint une organisation et un encadrement politique jusque dans les abris, lieu de surveillance au même titre que le reste de la vie allemande.
Mais pour en revenir aux mentalités, là encore, l’auteur trace des portraits complets et passionnants: le militaire déserteur par manque de conviction dans l’idéologie qui l’a bercé, l’autre par peur; le leader syndicaliste d’avant-guerre, un pied dans la clandestinité, mais encore lié à sa femme qui vit une existence -normale-, mais si fragilisée. Le socialiste convaincu, le nazi qui l’est tout autant, l’opportuniste, l’indifférent, le « prêt à tout » en paroles qui perd tout courage face aux actes, tout y passe.
Il y a surtout un jusqu’au boutisme absurde. Alors que tout s’effondre, que malgré le langage faussé de la propagande, la défaite ne fait plus de doute, les SS et les nazis convaincus persistent dans leur oeuvre de mort. Pire, ils l’intensifient. Ce fait est historiquement connu, reconnu. Le voir ainsi appliqué concrètement est glaçant d’horreur. Cet aspect montre la force de l’endoctrinement, la même que l’on retrouve lorsque certains des personnages, convaincus de leurs erreurs que l’embrigadement leur a fait subir, reconnaissent la difficulté à quitter totalement l’idéologie qui a bercé et forgé une génération entière.
Elle montre l’emprise extrême du parti sur le peuple. Même s’il sent confusément les mensonges, les failles, les échecs, celui-ci peine souvent à prendre les mesures propres à sa survie, autant conditionnés par la propagande que terrorisés par les représailles, jusqu’au bout, des SS, responsables de section et autres chefs d’abris antiaériens.
Pour autant, le livre est sans concession, à la fois avec les « petites mains » qui appliquent aveuglément une politique aussi absurde que meurtrière, mais aussi avec les aigles dorés et tous ceux que leur position rend conscients de l’inéluctable défaite et soudain frappés d’inexplicables épidémies, de déplacements impératifs, loin de la ville qui se meurt.
Mais comment savoir à qui se fier quand chacun peut être un traître ou un agent provocateur? Quand la trahison profonde peut venir de sa propre famille? Dans ces mêmes temps, des amitiés instinctives, des relations presque paternalistes donnent une vision d’espoir dans une humanité qui se désagrège au rythme des chants militaires.
La trame narrative au sens strict paraît presque anecdotique au regard de tout le reste, le témoignage historique, l’étude sociologique. Il m’a d’ailleurs été presque impossible de m’attacher vraiment à un personnage. Le roman ne s’y prête pas et sans doute est-ce volontaire dans un monde où le groupe compte plus que l’individu, où chacun peut disparaître en un instant.
Au final, je garde sur ce livre une vision mitigée, non par sa qualité mais par mon aisance à en avancer la lecture. Elle est sans doute causée par mon erreur d’appréciation initiale. Je guettais un roman là où j’aurais dû attendre un témoignage. Un témoignage passionnant par sa richesse, glaçant par l’ampleur du désastre, incroyablement enrichissant pour tout historien. C’est d’ailleurs cette catégorie de lecteurs qui, certainement, trouvera le plus son bonheur dans ce Berlin Finale.